Gérard Pierron, l’ami des poètes.
A défaut d’avoir rencontré le père Noël, vous avez peut-être eu la chance de croiser récemment un autre curieux bonhomme à Bourges. Eternel voyageur, Gérard Pierron parcourt inlassablement nos contrées profondes. Il était invité à conclure en chansons, le salon de la petite édition.
Comme il se doit, c’est Jean-François Jeannet, directeur de l’association Land Art et de la galerie l’Autre rive
, accompagné de Stéphane Branger, artiste originaire de Vierzon, qui présentèrent l’invité, devant un parterre assez confidentiel de spectateurs, regroupés dans le bar-restaurant de la maison de la Culture. La soirée parachevait ainsi cette semaine consacrée au salon de la petite édition.
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Un chanteur authentique
“Gérard Pierron a la tranquille assurance des gens qui prennent le temps, qui écoutent et respirent.” Cette phrase est tirée d’un ouvrage qui trône dans ma bibliothèque depuis des lustres. [2] Elle résume toujours assez fidèlement, je pense, l’homme d’aujourd’hui. Paré d’un blouson élimé, de son bonnet de marin vissé sur la tête, et flanqué d’un vieux carton à dessins, débordant de feuillets, il apparaît devant son auditoire, sans fanfare ni trompette. Point d’artifice pour celui qui travaille à la manière d’un artisan. En amoureux du métier bien fait, il chante avec son coeur et ses tripes... Par sa gestuelle, un regard accrochant celui du spectateur dans la salle, et surtout grâce à sa voix, il nous plonge immédiatement dans l’univers de ses chansons.
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Des musiciens inspirés
Se produisant généralement dans de petites salles, l’accompagnement de l’artiste se doit d’aller à l’essentiel. Ici, la musique se hisse toujours à la hauteur des textes. Cette atmosphère intime et chaleureuse fut cristallisée par le jeu des deux multi-instrumentistes de talent, présents pour l’occasion. Marie Mazille excelle au violon comme à la clarinette. Elle sait siffler (comme un garçon, dirait Françoise Hardy...) mais chante également merveilleusement a capella « De Putt’ suis-je », associée en duo avec Pierron. [4]
Patrick Reboud , quant à lui, fait figure d’accordéoniste et de pianiste chevronné. [5] Pour l’anecdote, il présenta, en guise d’interlude, le clavier avec lequel il accompagnait quelques morceaux. L’instrument, nommé dulcitone, est un petit piano du XIXème siècle à 5 octaves dans lequel les marteaux frappent des diapasons au lieu de cordes. Très pratique pour le spectacle itinérant, car l’instrument a l’avantage de ne pas se désaccorder. Il semble en revanche plus difficile à jouer qu’un piano classique. Vendu à Gérard Pierron par le frère de Boris Vian, cette pièce de collection est plutôt rare. Et notre musicien, désireux d’acquérir un instrument semblable, en profita pour lancer un appel. Que son avis de recherche soit donc relayé à travers ces lignes...
Un conteur intarissable
Gérard Pierron c’est un peu le saltimbanque ou le troubadour des temps modernes. “Son pays fait mille kilomètres et se jette dans la mer. Il s’appelle la Loire”, précise encore mon bouquin. [6] Si le fleuve est son territoire de prédilection, ce sont surtout ceux qu’il a rencontré sur ses rives, mais aussi bien au delà, qui ont forgé sa richesse ... Pierron ne se contente donc pas de chanter. Il prend plaisir à nous faire partager son amour des mots, ses amitiés, et présente toujours l’histoire de ses chansons au public. Le titre « Mon vieux bateau de 2CV » évoque ainsi ses pérégrinations de jeune artiste en tournée sur les routes, au volant de la fameuse petite Citroën. L’artiste en profita pour retracer en quelques mots ses premiers passages au Printemps de Bourges alors véritable lieu d’échanges et d’émulation entre artistes. [7] Puis, on part bien sûr dans son sillage, à la découverte de poètes tels que Gaston Couté , ou Louis Brauquier chantés de longue date. Des poètes régionaux comme Eugène Bizeau ouEmile Joulain qui furent des amis. Et d’autres encore, chanteurs de même souche, comme Allain Leprest ou Gilbert Laffaille pour ne citer que ces deux là. Mais aussi les textes liés aux simples et belles rencontres, comme cette magnifique chanson (de circonstance), “le Noël du manchot”, qui lui fut proposée à l’occasion d’un atelier d’écriture, par une jeune lycéenne de 16 ans, Françoise Vidard, pourtant fâchée avec l’école. C’est sous une salve nourrie d’appaudissements que le spectacle s’acheva...Pour ce parcours qu’il nous raconte sans prétention aucune , l’homme peut être fier. Fier de cette approche si simple et si humaine des autres. Et fier des chansons qu’il porte, bien qu’elles l’entraînent si souvent à contre-courant.
Alors, même si ce chanteur vagabond - tout comme le père Noël - est déjà passé et que vous n’étiez pas au rendez-vous, ce n’est pas grave... Préparez cependant la prochaine rencontre en écoutant ses disques . Et surtout ne perdez plus une occasion de croiser, au moins une fois, le chemin d’un artiste tel que Gérard Pierron.
[1] Le salon de la petite édition propose au public les travaux d’éditeurs qui ne profitent pas des systèmes de diffusion habituels. Il a pour but de créer des liens entre les différents acteurs de la circulation du livre et de favoriser ainsi les rencontres entre éditeurs, auteurs et lecteurs.
[2] Têtes d’affiche de Patrick Ullmann, éditions Clémence, 1982. Il s’agit d’un recueil de photographies d’artistes ayant effectué un ou plusieurs passages au Printemps de Bourges, enrichi de commentaires... Il est reconnaissable à sa sobre couverture noire et blanche.
[6] Voir l’ouvrage référencé ci-dessus, en note n° 2.
[7] Il participa également à l’aventure d’“Ecoute s’il pleut”, la première mouture du festival.