L’avenir est au libre

Libres à Bourges : le logiciel libre dans l’économie
mardi 11 décembre 2007 à 22:46, par bombix

La faculté des sciences de Bourges accueillait vendredi 07 décembre 2007 la seconde journée consacrée aux logiciels libres, à l’initiative de Berryx-Logiciels libres en Berry. Une journée riche, au cours de laquelle on pouvait s’initier et découvrir l’univers du logiciel libre, continent du monde informatique méconnu du grand public. Nous consacrerons plusieurs articles à cet événement. Aujourd’hui, il sera question du logiciel libre dans l’économie.

L'avenir est au libre
Olivier Murzeau présente un logiciel libre destiné au monde professionnel, Nagios

On ne présente plus le logiciel libre aux lecteurs de l’Agitateur. Pour une présentation succincte de ce phénomène, nous nous permettrons de renvoyer les lecteurs à nos articles de présentation d’Ubuntu [1], une distribution linux qui remporte un vif succès auprès du grand public.

Première confusion à éviter : libre dans « logiciel libre » ne veut pas dire gratuit. Le « logiciel libre » ne s’oppose pas au « logiciel payant », mais aux « logiciel propriétaire ». Tandis qu’un logiciel propriétaire demeure la propriété de son auteur, qui vous vend une licence pour vous en servir, et qui garde secret le code source de son produit, le logiciel libre, bien que protégé lui aussi par une licence, vous laisse libre d’examiner son code source, de l’améliorer, de l’utiliser et de le reproduire. La plupart du temps, puisque libre signifie aussi liberté d’utilisation et de reproduction, le logiciel libre est aussi gratuit. Mais pas nécessairement.

On ne comprend rien au phénomène du logiciel libre si on ne prend pas la peine de s’interroger d’abord sur l’origine de la valeur ajoutée dans l’industrie informatique. Les lois économiques commandent, pour qu’une entreprise soit viable, qu’elle ait un marché, qu’elle propose un produit ou un service qui répondent à des besoins, et qu’elle soit rémunérée pour le produit ou le service qu’elle offre, en proportion du travail et du talent qu’elle a investi dans la fabrication de ce produit ou de ce service.

L’industrie informatique repose sur un triptyque : matériel/logiciel/service. Pour utiliser un ordinateur, vous avez besoin d’un matériel informatique et des logiciels qui le font fonctionner. Si vous en avez la compétence, vous pouvez vous passer du service - ce qui ne veut pas dire que la notion de service soit évacuée, mais que c’est vous et votre travail qui remplissez cette fonction. Au niveau professionnel – par le jeu de la division du travail et de la spécialisation des tâches, et d’autant plus qu’on a affaire à un domaine technique qui est en mutation constante, l’origine de la plus-value se déplace de plus en plus de la production des logiciels vers la proposition des services afférents. Le logiciel libre comme phénomène à la fois technique et économique repose sur ce pari : à l’avenir, l’argent de l’industrie informatique viendra de moins en moins de la conception et de la vente des logiciels, mais de plus en plus des services que proposeront les sociétés pour installer, maintenir et faire évoluer des systèmes de traitements de l’information. Il n’y a rien de vraiment nouveau dans ce phénomène : ce déplacement du logiciel vers le service est strictement analogue au déplacement qu’a connu cette industrie à la naissance de la micro-informatique dans les années 80 ; à la différence près qu’à l’époque, la richesse produite s’était déplacée du matériel vers le logiciel [2]

Ce n’était pas le moindre intérêt de la conférence de M. Christophe Le Bars [3] que de tordre le coup à cette réprésentation tenace dans le public, qui associe logiciel libre et idéologie de la gratuité [4], logiciel libre et douce utopie soutenue par des « geeks » barbus et désintéressés qui passent leur vie devant leurs écrans à taper du code pour la gloire. À l’évidence, Richard Stallman est moins intéressé par l’argent que Bill Gates. Mais cela ne signifie pas que le logiciel libre repose sur un modèle économique qui rompe avec les fondamentaux de l’économie. Une entreprise, quelle qu’elle soit, doit dégager des bénéfices pour survivre et rémunérer le travail de ses employés. Les sociétés informatiques qui vivent et produisent du logiciel libre travaillent et font de l’argent. Mais ce qu’elles facturent, c’est essentiellement le service qu’elles rendent à leurs clients. Productrices ou co-productrices des outils logiciels qu’elles utilisent, elles sont d’autant mieux placées pour proposer les services qui les accompagnent. Il n’y a aucune philanthropie là-dedans, mais une anticipation de mutations qui se produiront nécessairement dans la jungle économique.

Non seulement donc le modèle économique du développement du logiciel libre est viable, mais il se pourrait qu’il soit à terme, le seul viable. A un auditeur sceptique dans la salle, développeur de métier, Christophe Le Bars a assuré qu’un développeur avait aujourd’hui tout intérêt à se conformer à ce modèle s’il voulait s’en sortir et gagner sa vie. Même si le logiciel propriétaire a eu son heure de gloire, cette « fenêtre de tir » est désormais fermée dans le secteur informatique. L’avenir est au libre.

[2voir notre article, dan la série consacrée à Ubuntu.

[3Développeur Debian, une distribution prestigieuse du système d’exploitation GNU/Linux, M. Le Bars est chef d’une entreprise informatique qui oriente ses activités autour du logiciel libre

[4Il faut parler d’idéologie ici, car il s’agit bien d’une représentation qui, comme toute idéologie, fausse la perception des réalités plutôt qu’elle n’aide à les comprendre.

commentaires
La gendarmerie passe sous Ubuntu - B. Javerliat - 31 janvier 2008 à 07:17

Apres avoir, en 2005, effectué la migration des postes sous Windows vers la suite bureatique OpenOffice.org au détriment de Microsoft Office*, les 70 000 postes informatiques de la gendarmerie ne fonctionneront plus avec Windows XP mais avec l’OS libre Ubuntu en 2013

* Cette migartion a généré une économie annuelle de 2 millions d’euros sur les licences. Au total, le choix du "tous logiciels libres" devrait, à terme, réduire la facture de 7 millions d’euros par an. On aimerait bien voir la mairie de Bourges faire le même choix.


Voir en ligne : La gendarmerie passera ses 70 000 PC sous Ubuntu d’ici à 5 ans
#10169
L’avenir est au libre - 22 janvier 2008 à 18:41

Juste pour dire que ce genre de choses est à réitérer sur Bourges_ nous avons une faculté oui mais un peu morte donc j’encourage les maîtres de conf à y travailler.


#9859
L’avenir est au libre - Tof - 14 décembre 2007 à 16:01

J’y suis allé, j’ai passé un bon après-midi, les conférenciers ont fait du bon boulot, j’ai trouvé l’intervention de Thierry Stoehr sur les "Formats Ouverts" très bien, un sujet qu’on a peut-être un peu trop tendance à oublier mais qui a toute son importance si nous voulons récupérer nos données dans les années à venir.
Dommage de ne pouvoir profiter entièrement de cette journée, les ateliers étant aux mêmes horaires que les conférences pour moi qui n’avait que l’après midi de "Libre".


#9160
L’avenir est au libre - Eulalie - 13 décembre 2007 à 09:21

Je voulais juste dire que si les gens croyaient que logiciel libre ça voulait dire gratuit, c’est pas forcément à cause d’une idéologie (tout le monde n’a pas un geerk dans son salon), mais tout simplement parce que une des définitons de libre c’est gratuit.


#9141
L’avenir est au libre - bombix - 13 décembre 2007 à  10:27

Bon, j’ai été un peu vite dans ma note. Je considère qu’il y a aujourd’hui une "idéologie" de la gratuité. C’est à dire toute une série de représentations qui nous font croire qu’on peut produire des biens et des services gratuitement. Alors, il faut s’entendre. Il y a bien sûr de nombreuses activités humaines dans lesquelles il y a du gratuit, ou plus exactement du don. La sphère économique n’englobe pas (pas encore ?) la totalité des activités des hommes. Mais justement, si l’on considère maintenant la sphère économique, ce thème de la gratuité fonctionne comme une idéologie, cad un discours mensonger. On ne donne rien gratuitement, et derrière le gratuit, il y a souvent de la manipulation (cf. la publicité) ou du vol pur et simple. L’informatique libre ne relève ni de l’un, ni de l’autre. C’est un modèle de développement économique dans lequel le travail produit de l’argent - ce qui est normal : tout travail mérite salaire - mais l’argent n’est pas produit là où l’on croit qu’il se produit habituellement. Auparavant, c’était le logiciel qui produisait beaucoup d’argent (et auparavant encore, le matériel) maintenant, la plus-value s’effectue de plus en plus au niveau du service. L’ambiguïté vient de ce qu’habituellement, au niveau des particuliers, on ne s’en aperçoit pas, parce que c’est nous-même la société de service. Ou les copains qui vous dépannent ou vous forment. Alors, évidemment le logiciel libre est "gratuit", dans le sens où on ne vous le facture pas. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas du travail rémunéré là-derrière. Seulement, il est rémunéré ailleurs et autrement que par la vente des logiciels. Il y a donc un modèle de développement économique du logiciel libre, qui ne rompt pas avec les fondamentaux de l’économie, et qui le rend viable. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer.

On peut même supposer, et là j’extrapole un peu, que les principes du logiciel propriétaire, relèvent d’une façon d’envisager les échanges et l’innovation d’une façon bien archaïque. La science et les révolutions techniques qui ont permis la révolution industrielle se sont appuyées sur la casse des corporations du XVème siècle, closes, initiatiques dans leur mode de transmission, et cultivant le secret qui a toujours été un obstacle dans les progrès de la connaissance.

En fait, et pour être encore plus complet et précis, le phénomène du libre conjugue des aspects qui sont de l’ordre du don (qui échappe à l’économique en tant que tel) et des aspects qui sont de l’ordre de la production de richesses au moyen d’un travail rémunéré. Je m’explique.

Vous prenez une distribution comme Ubuntu par exemple. À l’origine, il y a un geste philanthropique de son initiateur, jeune milliardaire téméraire. Mais Canonical est aussi une société qui doit produire de l’argent. Elle vend du service. Personne, sinon les informaticiens de métier, ne pourrait s’initier à linux, sans l’existence d’une communauté d’utilisateurs. Là, leur activité relève du don. Mais parmi eux, il y en a aussi qui mettent à profit les connaissances qu’ils ont acquises pour monter des sociétés avec lesquelles ils comptent gagner leur vie. Qui le leur reprocherait ? On n’a pas assez insisté sur le fait que la montée en puissance de linux a dépendu aussi de l’essor d’internet, qui a permis des échanges rapides et l’accès à des bases de documentation impossibles à imaginer jusqu’alors.

Au fond, il me semble que l’informatique libre n’est qu’un aspect de la révolution de la cyberculture que nous vivons aujourd’hui. Mais bien sûr ces indications sont trop succintes et demanderaient de plus amples développements.

#9142 | Répond au message #9141
L’avenir est au libre - Eulalie - 13 décembre 2007 à  12:05

Bien sûr que ces développeurs doivent être rémunérés pour le travail qu’ils fournissent (génial en plus). Et il est vrai aussi que par exemple Google, Yahoo en proposant des services gratuits font croire que tout peut-être gratuits au niveau de l’utilisateur. Et c’est vrai, c’est peut-être bien une idéologie qu’on veut nous mettre dans le crâne. Et là, pour le coup, j’extrapole peut-être aussi, je ne sais pas, c’est un peu comme pour la gratuité des musées.... (Et je ne veux pas créer un hors-sujet.) Mais je me dis toujours que "les gens" ont au départ une base de réflexion logique (comme par exemple le fait simple que libre veut aussi dire gratuit). Cela dit la logique voudrait aussi effectivement qu’on se dise "m’enfin, ces développeurs ne se cassent pas la tête pour "ma gratuité..." Et aussi se demander si "ma gratuité" ne se fait pas au dépend d’un autre être humain..... Culte du gratuit, culte du pas cher, que se passe t-il derrière ?
Et en ce moment, je découvre, mais peut-être avec un grand retard, je ne sais pas, cette idéologie du low coast... Je crois que tout ça est lié. Bon, mais oui, en espéant que l’avenir soit à ce libre- là, celui que vous expliquez. Celui-ci parait honnête , ne pas tromper pas les utilisateurs, ni les créateurs, ni les fabricants , ni les vendeurs-connaisseurs spécialisés dans ce genre de produit (enfin j’espère pour eux qu’ils s’y retrouvent bien. Et si’ls ne s’y retrouvent pas bien, ce n’est, je suppose pas à cause de leur "chaîne de distribution" mais parce qu’il y a des monopoles qui les empêchent de "respirer". Mais il en va aussi de la responsabilité des acheteurs de logiciels.... Je ne parle pas des particuliers, mais des grosses administrations, (des boites privées aussi d’ailleurs ) qui devraient se demander ce qu’elles veulent favoriser comme type de commerce, d’économie, de culture. Et là, dans ces grosses administrations, il y a des individus qui ont des pouvoirs de décisions.... Et merde, cette fois-ci encore, tel individu à pouvoir décisionnel, a encore opté pour la facilité de la gratuité de tel service de M........t. Dommage. il aurait fallu juste résister un peu, proportionnellement à la place hiérarchique occupée, qui n’est pas des moindre, qui se respecte comme on dit, donc sans grand risque social individuel, mais non, cet individu de plus à fonctions importantes a préféré ne rien dire. Et pourtant, "cette personne "est très intelligente, il va sans dire.
Mais, oui, ça changera peut-être dans l’avenir, "elle " changera d’avis....

#9144 | Répond au message #9142
L’avenir est au libre - Mister K - 13 décembre 2007 à  20:02

Le terme de logiciel libre en français prête quand même nettement moins à confusion que le free software en anglais. Même si l’on précise que c’est free as in free speech, not as in free beer(en gros c’est libre comme la parole et non gratuit comme la bière). En français, libre fait avant tout penser à la liberté. Mais c’est vrai qu’il existe l’entrée libre...

#9151 | Répond au message #9141
L’avenir est au libre - Eulalie - 14 décembre 2007 à  10:36

Bonjour Mister K, vous avez sûrement raison sur les notions de free et libre, mais déjà qu’il (m)’est compliqué de (me) poser des questions -pour comprendre, ou essayer- en français sur l’informatique, l’économie, (et sur la politique ) j’évite de me les poser en plus en anglais, sinon je vous raconte pas... :)

#9154 | Répond au message #9151
L’avenir est au libre - jld - 22 janvier 2008 à  20:37

Ceci est vrai en anglais seulement, puisque dans Free Software il y a free, et que free signifie libre ou gratuit. Mais ce n’est pas le cas en français. Un Logiciel Libre, c’est un logiciel qui a une licence libre, le plus souvent la licence GPL (General Public Licence), qui donne 4 libertés fondamentales, dont celle de distribuer ledit logiciel. La conséquence en est que le logiciel est gratuit. Mais ce n’est pas le plus important.
Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Logiciel_libre
et http://www.france.fsfeurope.org/

#9860 | Répond au message #9141