Promenade vers La Cigale
Quand on va à Bourges, c’est toujours par les mêmes rues. Grands boulevards, médiathèque, Cultura, et cours de tai-chi. La rue mineure et la majeure, magasin de musique, boutiques, un tour de la cathédrale. Mais si par hasard on s’égare, il y a des rues qui happent, une sorcière sur un toit d’usine.
Pour la première fois je vais à la bibliothèque du Val D’Auron, chercher Scream de Sarah Bettens. C’est face à la mer, en haut du centre commercial qui se traverse de l’intérieur jusqu’à la trouée verte. Deux femmes attendent les prêts et les retours. L’une s’étale l’autre écoute. La Cigale, elles ne connaissent pas. Celle qui parle agit. Dans le bottin trouve l’adresse, du plan me fait la photocopie.
Finalement je vais me garer à la médiathèque. J’irai à La Cigale de là-bas à pied. Mon chouchou est là. Toujours habillé de la même façon : chemise bleue ciel, comme ses yeux pâles. Pantalon jean en lin, dans les blancs cassés, crème, un peu trop remonté au kiki. Je lui dis bonjour et écoute un CD à côté de lui. Il est mal à l’aise. Salut en pensée.
Par le Palais d’Auron je traverse jusqu’au château d’eau. C’est le festival du film écolo. Quelques commerciaux. Trois quatre exposants de fringues de lin, plantes, pierres… Un bar sur bottes de foin. Au retour je viendrai voir. Traversée. Un homme avec ses deux litres de jus de poire. La Cigale est au-dessus du château d’eau. Je traverse un quartier d’habitations petites-bourgeoises embourgeoisées. Des contrastes très forts entre quelques maisons imposantes et leurs granges de bois qui s’écroulent. Beaucoup de charme.
Dans l’une d’elle les pigeons font conseils. Maître pigeon sur le faîte perché du coin de l’œil communique avec son ombre recroquevillée dans sa couverture de laine, dans son fauteuil près de la fenêtre. Immobilité qui se fige, quelques froufrous d’une respiration fatiguée, l’œil a cessé de revoir le passé. Quelques dérapages dans l’angoisse vertigineuse de demain. Quel sera le passage, qu’y a-t-il après ? Il n’a jamais bien su qu’il a si peur de l’inconnu. Côté rue, une courette devant la maison est une jungle retournée à l’état semi sauvage qui n’invite pas à entrer. D’ailleurs par où ? Demander aux voisins ?
A 100m dans cette rue d’Emile Martin, c’est le café La Cigale. Bar fermé. Il fut rouge. Locaux à vendre. Que s’est-il passé ?
Je cherche dans la presse locale sur internet. Encyclopédie de la nouvelle république. Bredouille. Mais un fil : drôle de journal : l’Agitateur, un nom qui me plait bien. J’y cherche quelques infos sur La Cigale. Dans "Vie Locale", une chronique des rues de Bourges. Quelle affinité. J’en suis ! Je m’en retourne par le même chemin. Vue dans l’autre sens c’est voir autrement surtout que j’ai quelques idées de ce que je vais voir. Un magasin de décoration a massacré le rez-de-chaussée d’une antique pâtisserie reléguée aux combles. Il reste là-haut une magnifique fenêtre.
Je traverse la place du château d’eau vers l’école de musique, l’œil à la recherche de la beauté. Une femme m’offre le plaisir de sa silhouette vue de dos. Au bout les jets d’eau éjaculent en bouquet.
Quatre jeunes en skate. Je suis fascinée par leurs culs (décidément). La mode des pantalons pour gars qui dévoilent les caleçons. Les quatre ont la même couleur de slip. Ils me voient faire la photo. Pensent que c’est pour leurs skates. L’un d’entre eux est à pied. Il fait des photos.
Descente par les marches sous les marronniers vers le Palais d’Auron, marché écolo. Près du bar aux bottes de paille, mon regard caresse les yeux bleus d’un grand brun. Je vais au camion des crêpes et Mathé voir les pantalons de lin. Le grand brun est à côté de moi et verbalise mon admiration pour la qualité de ces fringues. C’est magnifique. Deux superbes ponchos en laine de mouton nous attirent dans leurs bras. Connivence. Je lui demande d’en essayer un pour que je le prenne en photo. Il accepte de bonne grâce. Ses yeux sont deux petites mers paisibles. Le temps est clair. Il m’invite à le passer pour me prendre en photo à mon tour. Un des gars des 12 tribus nous suit dans notre jeu et nous invite à en passer chacun un pour nous prendre en photo ensemble. En couple pour quelques minutes, puissamment projetés dans les Pyrénées à faire du fromage de brebis ! S’en suit une longue discussion entre initiés, êtres en chemin vers la lumière. Je me décide pour un pantalon rouge : les toilettes pour handicapés du Palais d’Auron servent de cabine d’essayage. Je suis tenue par une sœur de la communauté de revenir avec un des pantalons sur moi ! Dans le camion, il y a la glace. C’est spécial. Ça change me dit-elle. Mais c’est vrai que c’est très agréable. Je suis conquise, puis j’ai envie de contribuer au projet de ces humains sortis de la misère capitale.
Olivier, mon compagnon de quelques instants est reparti sur la route. Un beau moment.