Petite chronique d’une promenade annoncée...
Et si nous partions visiter les quartiers de la ville afin de mieux la “sentir” ? ... A la recherche des parfums les plus subtils comme des pires miasmes ... en quête de l’air du temps ! Ces lignes, vous proposent de partager des flâneries éphémères agrémentées, d’impressions ou de réflexions inspirées par la promenade du moment.
“Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ; Mon paletot aussi devenait idéal ; J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ; ...” Ma Bohème, Arthur Rimbaud (1854-1891)
Tout commence presque parfaitement... La nuit vient de masquer un ciel menaçant et je me trouve à l’angle du quai des maraîchers et de l’Avenue Marx Dormoy que j’envisage de longer en direction de la Place Saint-Bonnet. A vrai dire, ce ne sont pas tout à fait les conditions que j’avais imaginées initialement pour rédiger ce billet, mais bon... Pourquoi avoir choisi ce lieu et un pareil moment pour s’y rendre, me demanderez-vous ? Parce que c’est moi qui décide ! Je vous en pose des questions ? ... Bon d’accord... Quelques raisons m’ont sans doute incité à débuter par ce quartier qui passe pour populaire. Sa proximité immédiate des marais et le lien qu’il constitue entre le centre-ville et Bourges-Nord, en font un espace incontournable, une véritable zone charnière. Et puis, s’il faut trouver une explication symbolique... j’avoue avoir gardé en mémoire, qu’ici même, j’ai dû passer les tout premiers mois de ma vie... Quant au moment...Je n’avais que ce créneau libre, alors...
Ah, ça y est ! Une petite pluie fine et musicale donne le signal du départ et m’incite à m’engager plus avant. Je commence à fouler rapidement les pavés scintillants. J’avais cru tout prévoir : mon appareil-photo en poche, un carnet et un stylo pour prendre quelques notes... Mais dès les premiers pas, je constate avec dépit, qu’écrire en marchant sous les gouttes relève de l’exploit. Le stylo abandonne d’ailleurs plus vite que moi et refuse bientôt catégoriquement, de diffuser l’encre bienfaitrice sur la feuille humide. Je m’acharne néanmoins à inscrire quelques mots invisibles avec la pointe récalcitrante, perforant quasiment le papier. Tout en maudissant mon imprévoyance, je m’éloigne en laissant derrière-moi, la passerelle métallique qui franchit la voie ferrée pour atteindre l’avenue du Général De Gaulle et les quartiers du nord de la ville. Comme il me faudra tout retenir, je décide judicieusement de relever la tête afin de mieux observer les alentours. Sur ma gauche, un Kebab accueille quelques clients que j’entrevois, assis derrière une grille à moitié baissée. Ils sont en train de regarder un match de foot à la télé. D’autres types discutent bruyamment à l’extérieur. Sur ma droite, les vitrines du magasin « Narcy » occupent un large espace. Je crois avoir lu que le marchand de cycles va prochainement changer de locaux. Un souvenir remonte en surface. Enfant, mon premier vélo, un“mini-vélo”, venait de chez « Narcy », installé, à l’époque, place Gordaine... Je m’engage dans la rue des Chèvres, qui se termine en une impasse encombrée de garages. Seules les fenêtres d’une petite maison à façade de briques, illuminent la sombre ruelle. Je décide de rebrousser chemin... Derrière un voilage, je découvre l’intimité d’un intérieur. Une femme prépare le repas pendant qu’un jeune garçon, concentré, révise probablement ses leçons sur la table de la cuisine. Dans le salon, le père de famille, étendu sur le sofa, a le regard fixé sur le poste de télé qui diffuse un bulletin météo. Scène banale et commune à des milliers de foyers dans la ville. Certes, mais une pensée me vient pour ceux - nombreux sans doute - qui n’aspirent simplement qu’à connaître un tel moment de quiétude...
Sur ces réflexions, je quitte, l’habit de voyeur, puis reprends mon chemin. Je m’arrête rapidement devant une ancienne grille, surmontée d’une enseigne rouillée d’horticulteur-pépiniériste... Non loin de là, je crois, mes parents vécurent dans une maison aujourd’hui détruite. Je traverse la rue pour m’engouffrer dans l’obscurité de l’impasse du Moulin le Roi. Seule l’eau qui ruisselle, trouble le calme du lieu. Une série d’immeubles de quatre étages a remplacé le vieux moulin et son cours d’eau, désormais recouvert. Autrefois, je suis venu ici avec mon père. Mon œil d’enfant avait gardé de cet endroit un souvenir de paradis. M’en retournant, je croise quelques silhouettes qui rentrent chez elles sans bruit. Puis j’aperçois une croix de néons irradiant la façade blanche d’une église évangéliste baptiste. A quelques pas, fixée à l’entrée de la rue de Babylone, une pancarte promet d’autres agapes à ceux qui se dirigeront vers « La Courcilière ». Je poursuis néanmoins tout droit, souriant à la vue des illuminations qui ornent l’entrée du club « Le Calypso ». C’est digne d’un jour de Noël ! Sur le trottoir d’en face, le triste hôtel « Saint Jean » n’incite pas vraiment - lui - à la curiosité. Tout comme les nombreux fonds de commerces abandonnés qui s’alignent. A ce moment précis, je me demande ce que je fais là, au milieu d’une rue vide avec un rhume qui s’annonce.
Tant pis pour le rhume, poursuivons courageusement ! A quelques pas, les habitués du bar de la piscine, sont fidèles au poste. Le patron tance deux vieux piliers de comptoir et menace de ne plus les servir... Cela n’a pas l’air de les troubler beaucoup. Cramponnés à leurs chaises, ils sirotent leurs fonds de verre et font un signe évasif du bras pour répondre... Un monde à côté, les rideaux du « Beauvoir » masquent la clientèle qui s’est réfugiée dans l’ambiance feutrée du restaurant chic. (Autrement dit : Circulez...Rien à voir !).
Arrivé sur le pont de la Voiselle, les lampadaires permettent de découvrir le fond du cours d’eau et les quelques poissons qui s’y trouvent. Le temps que je me penche par dessus la balustrade, l’unique jeune femme croisée depuis mon départ, en profite pour traverser le pont à tout allure ! Je n’ai que le temps de la voir trotter de dos... Je me concentre à nouveau pour scruter la rivière dans sa pénombre. On distingue quelques barques amarrées à la berge. Au loin, on aperçoit les éclairages de l’avenue du 11 novembre. De l’autre côté du pont, des eaux plus sombres en provenance des marais et l’amorce du boulevard Chanzy. J’entre maintenant dans la rue Edouard Vaillant. La pluie redouble et je tente de m’abriter près du bar-tabac « le rallye ». L’établissement, fermé, n’offre - pour tout accueil - qu’une panoplie classique de panneaux publicitaires. De plantureuses créatures largement dévêtues y côtoient de puissants athlètes, dont les muscles bandés n’aspirent qu’à toucher le ballon ovale... Tout un programme ! Je repars.
Une laverie automatique vide à droite, une maison en pan de bois à gauche, puis toute une série de cours obscures... Un jeune homme à la marche énergique, parle fort... à son oreillette. Dans son sillage, un quinquagénaire, au pas plus mesuré, arbore une énorme fleur à la boutonnière de sa veste. Là encore, peu de commerces sont ouverts. Seuls le bar-club « l’Opaline » et la petite épicerie font de la résistance... mais pas un client en vue ! Face à la cour de la Butte, je m’arrête pour contempler une curieuse façade... La maison, délabrée, révèle un ensemble ouvragé datant peut-être du XIX ème siècle... Des corniches décorées soutiennent un large balcon en fer forgé. A leur sommet on découvre la présence d’énigmatiques statues. Quels symboles se cachent derrière ces personnages ? A qui a pu appartenir une telle demeure ? Je n’ose pas aller me renseigner au bar voisin « le Caveau ». Je doute d’y trouver la réponse à mes questions. De vieux rideaux bleus en interdisent l’entrée malgré le rai de lumière qui s’échappe, sous la porte. Je continue...
La pluie s’apaise après avoir passé la rue du Chevreau. Un caniche trempé sort d’un porche. Surpris de ma présence, il file et disparaît quelques mètres plus loin. Je l’avoue, c’est - sur l’ensemble du parcours - le seul être vivant ayant manifesté une émotion à mon approche. (Je lui en suis grandement reconnaissant !) Je dépasse ensuite une série de restaurants et retrouve un peu d’animation, à l’approche dela place Saint Bonnet. Je dérange une nouvelle fois, mon ami chien, qui s’était réfugié dans une autre cour. La petite bête défrisée et craintive décide alors de traverser la chaussée pour aller se soulager au coin de la rue Galilée. Là, un homme ivre observe la scène avant de poursuivre péniblement sa marche dans un équilibre précaire. Des clameurs parviennent du bar « El Bongo ». Les jeunes passagers d’un cabriolet rutilant pavanent au son d’un air de rap... C’est une frontière qui vient d’être franchie. Celle que je m’étais fixée... La pluie vient de cesser, mais la fontaine, située devant la halle, semble vouloir prendre le relais en livrant sa propre ambiance aquatique... Je file rue Parmentier avec la sensation de rester sur ma faim... C’est sans doute bien ainsi, car d’autres promenades viendront, je l’espère, m’aider à l’assouvir.