Les cinquante imbéciles qui font bien rigoler Bourges
Ce n’est pas un mince exploit : le magazine L’Express a trouvé cinquante personnes qui « font bouger Bourges » ! Dans un numéro spécial, l’hebdomadaire cher à Françoise Giroud (paix à son âme), propose à ses lecteurs un portrait le plus souvent caricatural de ceux et de celles qui sont censés représenter le noyau dur des activistes de la capitale du Berry. Visiblement, ce n’est pas avec ces cinquante grosses têtes que la ville va « bouger ». L’Agitateur va encore se faire des amis.
C’est devenu un bon filon. Certaines publications nationales, pour renforcer leurs ventes en province, proposent des « numéros spéciaux » avec des sujets très ancrés sur la « presse de proximité ». Et il faut croire que cela rapporte gros. Voici donc que le magazine L’Express a cru bon sortir en ce début d’année un numéro spécial sur « les 50 personnalités qui font bouger Bourges ». Reléguant aux oubliettes tous les principes d’éthique et de déontologie, L’Express pond ainsi une série de portraits - plutôt mal écrits - qui flatte l’ego des intéressés mais qui s’apparente à du publi-journalisme ou à un exercice de communication qui n’a rien à voir avec le résultat d’une enquête ou d’un reportage sérieusement mené.
LEPELTIER MON AMOUR. On passera un voile pudique sur Serge Lepeltier, qui figure dans cette liste en raison de sa fonction de « sénateur-maire de Bourges ». Il est dit de lui que « Michèle Allô, Marie, j’ai perdu mon casse-noisettes » lui fait de l’ombre à l’UMP. Bah, c’est pas plus mal, vu la grosse gaffe qu’il a commise lors des dernières élections présidentielles en déclarant qu’il n’était pas souhaitable que les candidats UMP mal placés se retirent face au candidats de la gauche plurielle en cas de risque d’une victoire du FN aux législatives. « Il n’est pas facile d’avoir Gaston la Gaffe comme numéro deux du RPR ! », avait déclaré Edouard Balladur à propos de celui pour qui l’Autriche, ce beau pays du néo-nationalisme, est le pays de ses rêves - dixit son questionnaire de Proust, et qui accusait Lionel Jospin de se « balladuriser » !
Pas un mot non plus dans L’Express sur les finances de la ville, de plus en plus préoccupantes. Notre petit roi de Bourges est plutôt présenté comme un spécialiste de l’environnement. Bon, d’accord, il a fait arracher quelques centaines d’arbres, construit des dizaines de ronds-points immondes, utilisé des tonnes de pots de peintures financés par les fonds européens pour faire des pistes cyclable toujours inexploitables... mais cette conception de l’écologie conviendra sans doute à ceux qui aiment le béton.
GITTON MON BICHON. Rions un peu, en revanche, avec Philippe Gitton, maire adjoint à la culture, présenté comme un « amoureux de sa ville. » Fervent anti-bolchévique, connu pour ses nombreux dérapages verbaux et pour avoir été celui qui aurait négocié de petits arrangements avec le Front National lors des dernières élections municipales, L’Express ne précise pas que s’il « fait bouger la ville », ce n’est pas toujours dans le bon sens. Dans sa volonté affirmée de « casser la logique des festivals à Bourges », il a effectivement brisé et découragé un bon nombre d’initiatives locales pour privilégier sa « biennale d’art contemporain » où « comment mettre l’art au service de la communication politique d’une ville ».
Philippe Gitton qui déclare dans L’Express « ressentir Bourges dans les tripes », doit ressentir également quelques fourmillements dans son porte-monnaie puisqu’il a supprimé la subvention allouée par la ville à L’Institut International de Musique Electroacoustique (IMEB) dont l’existence est aujourd’hui menacée. L’année précédente, il avait déclaré, en public qu’il ne voyait pas l’intérêt de subventionner avec de l’argent « local », une institution d’envergure « internationale ». Tout le monde avait pris cela comme une boutade supplémentaire de cet incorrigible comique. Mais non, ce n’était pas pour rire. Comme en écho, Christian Clozier, directeur de l’IMEB qui figure lui aussi dans ce « top 50 », lui répond qu’en 1970, date de création de cet organisme, « une telle structure en province, c’était nouveau, et socialement motivant. » Mais L’Express ne cherche pas la polémique en omettant surtout de dire que l’IMEB pourrait fermer ses portes, mais en rappelant que « L’IMEB, c’est aujourd’hui une équipe de 14 personnes, la création, la recherche, la formation, les actions scolaires, les éditions de CD de vidéo, un concours et le festival Synthèse ». Pour ceux qui auraient la mémoire aussi courte que leurs idées...
NOULETTE LA POLICE. Au rayon « animateurs de la vie culturelle », on trouve aussi Karine Noulette de l’association Emmetrop, « à contre-courant des cultures institutionnelles et ultra-commerciales. » Sauf que Emmetrop n’a pas d’équivalence pour manier avec dextérité l’art du double langage : un pour les institutionnels, bien dans le sens du poil afin de ramasser l’oseille, et un autre avec plein de mots qui ne sont pas dans le dico, pour faire croire à son public potentiel que les emmestropiés sont toujours des rebelles en marge (ils aiment bien ce mot) des institutions, dans une dynamique « sociétale » (ils aiment bien aussi). Sauf aussi que Emmetrop confond la culture et le social pour ratisser large au niveau des subventions. Jamais Emmetrop n’a été aussi riche que depuis que la municipalité est à droite. Simple coïncidence ? Mieux : c’est l’une des associations culturelles les plus subventionnées de la ville, laquelle fait toujours référence à elle pour parler de l’action envers la jeunesse. Sauf que la très policée Karine Noulette et ses copains, ont dépassés la quarantaine et que les vrais jeunes, ben... y connaissent pas Emmetrop.
DERRIERE LA COLLING. On continue la belle série ? Tapis rouge, donc, pour Daniel Colling, le directeur du Printemps de Bourges, tout fier de répéter à qui veut bien l’entendre que son public s’est renouvelé à 90% par rapport au premier Printemps. Une bonne chose ? C’est une question d’interprétation. Si les pionniers ne reviennent pas à Bourges, c’est peut-être parce qu’ils n’y retrouvent plus l’esprit originel. Parler de renouvellement est d’ailleurs un peu grossier pour un festival qui est passé de 130.000 spectateurs en 1987 à 50.000 en 2002, avec quelques années creuses à tout juste 40.000 spectateurs à la fin des années 90. Remarquez, dans le genre « mégalo toujours satisfait de lui-même », on est particulièrement bien servi à Bourges, avec notamment Michel Pobeau, directeur de l’agence culturelle, qui déclare dans L’Express : « L’été il ne se passait rien à Bourges, alors j’ai créé le Festival Un Eté à Bourges en 1996 ». Ouais... y’avait quand même un truc qui s’appelait d’un autre nom et qui fonctionnait selon le même concept. La mairie lui a juste donné un peu de fric pour qu’il monte son « agence privée para-municipale ». Mais là c’est sans doute un peu trop nébuleux et technique pour L’Express qui ne cherche pas à voir plus loin que le bout de son tarin.
TROIS ZOBS ET UN RUFIN. Qu’est-ce qu’il fout dans cette liste, Jean-Christophe Rufin, prix Goncourt pour son bouquin Rouge Brésil ? Euh... c’est juste qu’il est né à Bourges « il y a cinquante ans ». Mais enfin ! De quoi s’agit-il exactement ? De la liste de ceux qui font bouger Bourges ou de celle des berruyers ayant une certaine notoriété ? Parce que Jean-Christophe Rufin, je ne l’ai pas souvent vu à Bourges, et je ne vois pas en quoi il fait bouger la ville avec son bouquin qui s’inscrit bien dans la lignée des Goncourt : chiant, pédant, faussement bien écrit.
MONO-INDUSTRIE. Allez, on passe au rayon « économie locale ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas « chié la honte » à L’Express en nous faisant bouffer des responsables périmés de l’armement, un secteur à l’agonie à Bourges. Les milliers de licenciés apprécieront. Les salariés d’Infomobile aussi, en voyant la tronche de leur patron Michel Tibayrenc, recrutés pour travailler dans le secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication (la classe !), et qui se retrouvent finalement pauvres télé-opéréateur payés au smic et sans possibilité d’évolution dans une simple entreprise de centre d’appels. Voilà qui symbolise tout le dynamisme de la ville de Bourges qui est dans une telle situation économique critique qu’elle ferait passer une déjection canine pour une pépite d’or.
J’arrête là ce trombinoscope, je me suis fais suffisamment d’amis pour aujourd’hui. En prime, je ne résiste pas à la tentation de citer Bernard Stéphan du Berry Républicain qui figure lui aussi dans le top des tops : « Nous faisons trop de journalisme assis. Il faut davantage se rendre sur le terrain ». Ils ne se sentiraient pas un peu visés les gars et les filles de L’Express qui ont commis ce magnifique dossier sponsorisé par Europe 2 et visiblement fortement téléguidé par le service communication de la mairie de Bourges ?