Entretien avec Dominique Delajot

Promenons-nous à la Vallée avec Gilles Clément

jeudi 14 mars 2019 à 21:22, par Mercure Galant

L’auteur Dominique Delajot nous invite à découvrir de manière originale la Vallée, le lieu imaginé en Creuse par le célèbre jardinier paysagiste Gilles Clément. La visite de ce magnifique jardin en mouvement devient alors un prétexte où les mots choisis se transforment en passerelles qui nous éclairent sur les concepts et les réflexions du maître des lieux.

L’Agitateur : Pouvez-vous présenter votre parcours professionnel en quelques mots ?
Dominique Delajot : J’ai tout d’abord suivi des études d’Art . Je suis ensuite passé par l’Institut de promotion commerciale (ce qui n’a rien à voir !) avant de commencer à écrire dans des revues d’art : Artension, Kanal, puis pour les éditions Autrement. Parallèlement à mes études j’étais producteur délégué et chroniqueur à FR3 radio puis Radio France notamment avec Brigitte Patient avec laquelle j’ai écrit des fictions. Puis je suis parti à Radio France Dijon et aussi un peu en Suisse. J’ai produit quelques émissions culturelles et musicales à l’époque où les radios explosaient, on se sentait alors des ailes ! Ensuite, pour des raisons familiales, je suis venu m’installer à Bourges et je suis entré au Berry Républicain comme journaliste. Je suis allé à Vierzon, où je suis devenu chef d’agence puis nommé responsable de la rédaction à Bourges et, enfin, secrétaire général, avant d’en partir après trente ans au service du journal.

Promenons-nous à la Vallée avec Gilles Clément

L’Agitateur : Comment est né le projet du livre la vallée des papillons ? Quels ont été vos premiers contacts avec Gilles Clément ?
Dominique Delajot : Quand j’étais encore secrétaire général au Berry Républicain, Frédéric Terrier, responsable des Mille Univers, est venu me demander si le journal pouvait faire un papier sur Gilles Clément alors qu’il était artiste en résidence à Bourges. Auparavant, Je ne connaissais pas Gilles Clément. J’avais entendu parler de lui, mais je n’avais pas lu ses livres. Après ce premier article, le journal a créé une rubrique « jardin » dans l’édition du dimanche et on avait demandé à Marie Marcat [1] de rédiger une chronique hebdomadaire qui sortait un peu de l’ordinaire avec une histoire racontée sur le jardin. Suite à la venue de Gilles Clément nous avons organisé trois rencontres avec lui pour aborder les concepts qu’il développe [2]. On lui proposait un mot qu’il ne connaissait pas et autour duquel s’amorçait une discussion à bâtons rompus. Cette rubrique a connu un certain succès et a duré un an et demi. Cette expérience m’a obligé à réfléchir aux concepts qu’il avait mis en place.
L’Agitateur : Etait-ce déjà une amorce pour l’idée de votre livre ?
Dominique Delajot : Pas du tout. Après mon départ du Berry Républicain, Frédéric Terrier m’a demandé si je pouvais écrire un livre sur Gilles Clément, qui n’était alors plus en résidence à Bourges. Mais je ne savais pas comment faire et je me voyais mal écrire sur lui, il avait déjà tellement écrit lui même ! Que pouvait-on encore écrire sur Gilles Clément ? Et puis après avoir réfléchi j’ai repris une idée surgie lors de notre troisième rencontre avec Gilles, Marie et l’équipe des Mille univers, qui avait eu lieu à la Vallée. C’était quand même une sacrée aventure et nous étions tous très émus, comme des gamins ! Assez fréquemment Gilles Clément propose une visite de son jardin. C’est d’ailleurs plus qu’un jardin ! Ce sont des paysages… Cette promenade n’avait pas de lien direct avec les mots et les concepts recueillis auparavant mais on retrouve évidemment dans ce jardin la philosophie de Gilles Clément et le travail accompli depuis des dizaines d’années. C’était son laboratoire ! J’ai donc pris le prétexte des endroits où l’on s’arrêtait pendant la promenade pour ouvrir des paragraphes avec un mot.
L’Agitateur : La construction du livre est effectivement assez habile. Il s’agit donc de la narration d’une visite dans le jardin de Gilles Clément avec de courts chapitres correspondant aux étapes de la promenade qui alternent avec la définition d’un mot proposé au jardinier paysagiste. Cette idée est-elle venue a posteriori ?
Dominique Delajot : Oui, mais je pense que la forme aurait pu être différente, non pas dans l’écriture mais dans la mise en page… Si j’ai eu cette idée c’est parce que j’ai fait de la radio. Mes entretiens étaient enregistrés et Gilles, qui est un pédagogue, a une voix très agréable. J’ai donc essayé de mettre cette voix et cette rencontre en scène. C’est pourquoi on trouve des déclarations ou des réflexions qui sont séparées du texte.

Dominique Delajot et Gilles Clément en entretien.

L’Agitateur : Cette construction fonctionne bien car elle créé un rythme adapté aux étapes de cette journée de visite. Elle donne l’impression au lecteur de participer à l’événement…
Dominique Delajot : Je ne savais pas si cela allait fonctionner… Je n’ai pas pris de notes au cours de cette visite mais j’avais beaucoup lu Gilles Clément, notamment le Salon des berces où l’on retrouve tout. J’ai écrit « à chaud ». Je venais de quitter mon travail au Berry Républicain et je me suis complètement isolé pendant quatre ou cinq mois. Je n’ai fait que ça, toujours avec cette balade en tête et avec Gilles nous apparaissant comme un maître donnant un cours à ses élèves en direct dans la nature !
L’Agitateur : Quelle était votre intention avec ce livre ? Présenter les concepts de Gilles Clément ? Poser une réflexion sur son parcours ?
Dominique Delajot : On a discuté pendant des heures avec Gilles Clément sur des temps informels : exposition, repas… Pendant la visite à la Vallée, c’était pareil. On a déjeuné ensemble mais la discussion a eu lieu toute la journée et j’ai vraiment eu l’impression de suivre des cours de haut niveau… Et puis j’ai surtout été sensible à ce discours. Quand on visite la Vallée, la notion de jardin planétaire conceptualisée par Gilles est évidente ! C’est écrit dans le jardin, même quand on n’est pas spécialiste de botanique ! La particularité de Gilles c’est d’expliquer des choses complexes de manière très simple. Il nous rappelle que la nature est en elle même tellement extraordinaire qu’on ne s’en aperçoit même plus ! Par exemple, je me souviens que Gilles a évoqué l’incendie qui a détruit l’observatoire qu’il avait installé dans son jardin et il a alors pris ce prétexte pour nous parler des plantes pyrophytes dont les graines ont la particularité de germer suite au passage du feu. En fait, avec lui, tout est prétexte à pédagogie !

Dominique Delajot et Gilles Clément à la Vallée

L’Agitateur : L’ouvrage est également abondamment illustré. Tout cela a-t-il été possible au cours de cette seule visite ?
Dominique Delajot : Non, effectivement. Le manuscrit était terminé quand Frédéric Terrier, l’éditeur, a pensé qu’il serait bon de l’illustrer. Il a fait appel à Louis Jourdan qui n’était pas présent au cours de la première balade. Nous avons donc téléphoné à Gilles Clément pour programmer une deuxième visite à la Vallée avec Louis Jourdan mais aussi avec le photographe Erick Mengual ,avec qui nous préparions une grande exposition au jardin de Marie, et qui a réalisé la photographie de couverture du livre. Le photographe et le dessinateur ont pris tout l’après-midi dans le jardin pour faire les croquis et les prises de vue.

L’Agitateur : Avez-vous eu des retours sur votre livre ? Gilles Clément l’a-t-il lu ?
Dominique Delajot : Gilles Clément est peu expansif mais lorsque je lui ai envoyé le livre il m’a brièvement répondu : "Bon boulot !". Puis, revenu pour ouvrir la saison de la Maison de la Culture dans les Marais de Bourges, il m’a renvoyé un message pour me dire au sujet du livre que ça fonctionnait très bien... J’en étais content, car je n’ai pas de prétention en ce domaine, mais j’avais bien conscience d’avoir trouvé une correspondance entre mon cheminement d’écriture et celui effectué dans le jardin.
L’Agitateur : Où peut-on se procurer ce livre ?
Dominique Delajot : Il est en vente à Bourges, à la Poterne et à l’atelier des Mille Univers. [3]
L’Agitateur : Avez-vous d’autres projets en cours ?
Dominique Delajot : Je n’ai pas de projet de livre pour le moment [4], par contre, les travaux des jardins dessinés par Gilles Clément vont bientôt commencer à l’abbaye de Noirlac, avec des interventions archéologiques et un scénographe, et l’on vient de me demander d’écrire des textes pour une exposition qui va durer le temps de ces travaux. Je travaille également pour le journal du canal de Berry, bizarrement c’est aussi un travail paysager… cela me poursuit ! (rires) [5] J’écris également des chroniques sur la construction de la nouvelle Maison de la Culture. Mais j’ai aussi un travail de plasticien, ayant la chance de disposer d’un très bel atelier-bureau, dans lequel je me plais à passer beaucoup de temps ! (rires) J’exposerai d’ailleurs au printemps dans une grande librairie du centre de Nantes, dont l’une des thématiques est précisément … le jardin !

Pour en savoir plus :
Le site de Gilles Clément

[1Marie Marcat est la propriétaire du jardin de Marie

[2Gilles Clément est principalement reconnu pour ses concepts de jardin planétaire (1), de tiers paysage (2) et de jardin en mouvement (3) dont voici les définitions trouvées sur Wikipédia (1) Le jardin planétaire est un concept créé par le paysagiste français Gilles Clément pour signifier que la Terre est, comme le jardin, un espace clos, fini et arpentable que l’Homme, en bon jardinier, doit ménager. (2) Le Tiers paysage est un concept créé par le paysagiste français Gilles Clément, afin de désigner l’ensemble des espaces qui, négligés ou inexploités par l’homme, présentent davantage de richesses naturelles sur le plan de la biodiversité que les espaces sylvicoles et agricoles. (3) Le jardin en mouvement est un concept créé par le paysagiste français Gilles Clément pour désigner à la fois un type de jardin où les espèces végétales peuvent se développer librement et, plus généralement, une philosophie du jardin qui redéfinit le rôle du jardinier, en accordant une place centrale à l’observation, et qui repose sur l’idée de coopération avec la nature Il faut noter qu’un des premiers jardins en mouvement créé par Gilles Clément est situé à Bourges. Il s’agit du jardin de Lazenay. Assez peu connu, il date de 1990.

[3Dominique Delajot, La Vallée des papillons, Gilles Clément les chemins et les mots, 84 pages Les mille univers , septembre 2018, 13,50€

[4Dominique Delajot a participé à l’écriture d’un ouvrage aux éditions "Autrement". Un guide touristique sur l’architecture de terre dans le Maconnais et la Bresse bourguignonne.

[5Dominique Delajot a également participé avec les Mille univers, à la rédaction de journaux collaboratifs sur les jardins de Lazenay et de Noirlac, réalisés par Gilles Clément dans le Cher.


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