Pas de lutte déclasse
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Si on pense le gouvernement de marcheurs sincère, cette formule pourrait bien résumer la réforme du travail initiée sous l’autorité du président Macron. Malheureusement, on n’est pas certain que ce gouvernement soit bien sincère. On a même l’impression qu’il relance la lutte des classes comme jamais.
Officiellement, le but des cinq premières ordonnances de la loi travail titrées "Renforcement du dialogue social" [1] est de lutter contre le chômage de masse. Leur théorie, libérale, c’est que le code du travail n’est pas adapté à notre époque et empêche les employeurs d’embaucher. Pour eux, un patron de très petite ou moyenne entreprise (TPE, PME) hésiterait à embaucher à cause de la complexité du droit et des risques juridiques que comporte à terme toute nouvelle embauche.
Le problème, c’est que même les partisans de cette loi reconnaissent que le code du travail n’est pas le principal frein à l’embauche, le principal frein étant l’activité économique de l’entreprise qui se traduit par un carnet de commandes plus ou moins plein. En gros, le frein code du travail est avant tout psychologique, ils veulent lever ce frein... on se demande bien pourquoi le gouvernement n’a pas pensé à leur payer un psy !? Conclusion, ces cinq ordonnances proposées fin août 2017 devraient créer des emplois à la marge dans les TPE et PME. On est dans de l’idéologie pure.
Ces cinq ordonnances sont pleines d’hypocrisies. Rien que le titre général, "Renforcement du dialogue social" pourrait faire sourire si les conséquences au final n’étaient pas un affaiblissement des droits des salariés. On atteint le top de l’hypocrisie avec la troisième ordonnance titrée "Ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail" : en fait, ce que l’on sécurise, c’est le pauvre employeur face au méchant salarié. Caricatural mais pourtant malheureusement, bien dans l’esprit de ces ordonnances qui de l’avis général [2], sont très déséquilibrées en faveur des employeurs. Ce déséquilibre, s’il n’est avoué, est bien assumé par le gouvernement puisque selon lui, il vise en premier lieu les TPE et PME...sauf que les mesures ne concernent pas seulement ces types d’entreprises mais également les plus grandes. D’ailleurs, une mesure très contestable, permet aux multinationales de licencier pour motif économique même si leurs résultats à l’international sont très positifs : si l’on avait voulu favoriser les délocalisations, on ne s’y serait pas mieux pris.
Macron, tout comme Hollande et Sarkozy avant lui, rabote le code du travail afin d’isoler les salariés le plus possible face aux décideurs et rendre les actions collectives, la solidarité, de plus en plus difficile. En plus des cadeaux fiscaux massifs à venir, cadeaux qui n’ont pas fait leurs preuves dans le passé dans la lutte contre le chômage (TVA sur la restauration sous Sarkozy, CICE sous Hollande), le coup de canif supplémentaire dans le code du travail n’est que la cerise sur le gâteau pour le MEDEF et autres organisations patronales. Et c’est bien ce qui est le plus dérangeant au final dans cette histoire : c’est la violence symbolique que renvoient ces décisions qui favorisent les employeurs face aux salariés, une minorité qui contraint une majorité. Les catégories sociales aisées, minoritaires, soumettent les plus modestes, majoritaires. On pourrait y voir une caricature pourtant ce sont les faits objectifs. La sociologie du gouvernement et des députés "En marche" qui sont composés de nombreux chefs d’entreprise ou cadres ne trompe pas : ils travaillent pour leur camp et sont complètement dans l’idéologie du ruissellement qui consiste à dire que ce qui est bon pour les plus riches est bon pour les plus modestes. Bref, si vous êtes modeste, vous en récupérerez peut-être quelques miettes si vous êtes sage. Officiellement, il n’est pas question de lutte des classes, beaucoup trop désuet pour des jeunes gens modernes. Pourtant, ça y ressemble furieusement et ce sont les classes favorisées qui sont en train de la gagner.
Maintenant, reste à savoir comment vont réagir les français. Les syndicats ont de moins en moins d’audience et partent divisés. L’intérêt individuel semble avoir largement pris le pas sur le collectif [3]. Dans ces conditions, pas certain que beaucoup de français se sentent directement concernés par ces ordonnances même si objectivement ils le sont à titre collectif...et potentiellement un jour à titre individuel. Et dans le contexte actuel, sans lutte collective, c’est le déclassement individuel des plus faibles qui est garanti.
Un appel national à la grève a été lancé pour le 12 septembre afin de protester contre ses ordonnances de la loi travail. Ce jour là, à Bourges, un rassemblement partira à 10h30 de la place Séraucourt.
[1] Projet d’ordonnances "Renforcement du dialogue social" :
– Ordonnance 1 : Ordonnance relative au renforcement de la négociation collective
– Ordonnance 2 : Ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales
– Ordonnance 3 : Ordonnance relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail
– Ordonnance 4 : Ordonnance portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective
– Ordonnance 5 : Ordonnance relative au compte professionnel de prévention
[2] Hors marcheurs...quoique
[3] Il parait que ça fait 50 ans que l’on entend ça....à prendre avec précaution donc !