La gauche française malade de l’Europe

vendredi 6 février 2015 à 07:41, par bombix

« Le socialisme est désormais illégal. »
Valéry Giscard d’Estaing, après la ratification du Traité de Maastricht, 1992.

« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux [...] Mais si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites. »
Sun Tzu

Mardi 3 février, à l’appel de la FSU, des enseignants étaient en grève. Vous ne vous en êtes pas apercus ? Vous êtes bien excusable. C’était la petite grève de l’hiver. La fameuse « journée d’action » qui revient avec les saisons, qui ne désorganise rien et qui ne mobilise personne.
Il y aurait beaucoup à dire sur ces fameuses « journées d’action ». En toute logique, quand des responsables syndicaux lancent leurs troupes dans la bataille et demandent aux salariés de cesser le travail, ce devrait être sur un objectif clair et avec les moyens les plus efficaces possibles. En général, c’est l’inverse qui se produit. La journée d’hier n’a pas dérogé à la règle. La liste des revendications de l’appel de la FSU à cesser le travail était comme d’habitude longue et vague ; la « journée d’action » d’une inefficacité qui n’est plus à démontrer. En effet, une journée de grève n’a de sens que si elle vaut avertissement, comme prélude à une grève plus dure et plus déterminée, la seule efficace, celle qui met sa majesté Le Capital en difficulté.
Pour l’instant, et depuis un moment, il n’est plus guère inquiété, le Capital. On ne compte à l’actif des salariés aucune victoire depuis les grèves de 1995 qui firent reculer Juppé et sa casse programmée de la Sécurité Sociale, sinon, peut-être, le mouvement anti-CPE. La répétition des journées d’actions, égrainées d’une semaine sur l’autre, pendant la « lutte » contre la réforme des retraites en 2003 et 2010 a eu comme seul résultat d’épuiser les troupes et de faire échouer un mouvement pourtant puissant. En 2010, Sarkozy avait loué « le sens des responsabilités » des syndicats. Il pouvait les remercier en effet.

On aurait sans doute tort d’imputer cette situation à la seule trahison des appareils et de ceux qui les dirigent. Les choses s’éclairent aussi si l’on prend en compte une logique qui conduit les syndicats français à s’inscrire dans un cadre européen qui limite leur action et donne sens à une stratégie au final suicidaire.

Peu après les grèves de 1995, la CGT demandait et obtenait son adhésion à la Confédération Européenne des Syndicats. La CFDT avait été la première à y adhérer, suivie de FO. La FSU en fait partie depuis 2011. Seulement, pour entrer à la CES, la CGT avait dû montrer patte blanche. Modifiant ses statuts à son congrès de Montreuil en 1995, elle faisait disparaître toutes références à la socialisation des moyens de production et abandonnait l’objectif de l’abolition du salariat, vieux mot d’ordre d’un marxisme désormais abandonné aux poubelles de l’histoire. Dès lors, et comme pour tous les autres syndicats, son orientation européenne impliquait une allégeance aux principes néo-libéraux qui commandent l’actuelle construction de l’Europe.

De fait, depuis sa création, la CES qui fonctionne grâce aux subventions européennes, n’a jamais mis à son ordre du jour l’organisation d’une grève. Elle demande gentiment « une Europe plus sociale ». Elle a renoncé aux luttes pour se faire force de « proposition ». Quand, donc, en février 2014, Thierry le Paon déclarait au Nouvel Economiste : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés – là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents - et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté » il témoignait simplement de l’orientation désormais réformiste de sa centrale, et attestait clairement que la CGT, une trentaine d’années après la CFDT, actait son aggiornamento au nouvel ordre capitaliste désormais sans adversaires, même en rêve, et dont la construction européenne est la pierre angulaire.

Les choses sont-elles très différentes du côté des partis et des organisations politiques ? Que l’on considère par exemple la lutte en sourdine qui se mène depuis quelques mois contre le TAFTA, ces accords de libre échange et d’investissements négociés dans le plus grand secret au niveau européen. S’ils sont adoptés, sous prétexte d’une relance d’une hypothétique croissance, ils consacreront la domination des multinationales — la plupart étasuniennes — sur nos sociétés, attaquant nos normes sociales, financières, sanitaires, culturelles, environnementales. Il s’agit rien de moins qu’une forme de colonisation des économies du vieux continent, mise en place au profit des USA, et baptisé sobrement « accord de partenariat ».

Cette nouvelle perte de souveraineté et ses conséquences devrait mobiliser la gauche. Rien ne transpire pourtant dans les médias, et c’est tout juste si les militants de base s’en préoccupent. La seule parade imaginée est la constitution d’un collectif « Stop Tafta » qui regroupe 79 organisations et qui se fixe pour but de contraindre le gouvernement français et l’Union Européenne à stopper les négociations en cours. Son arme ? Une pétition citoyenne, lancée en s’appuyant sur une disposition du Traité de Lisbonne qui autorise la mise en place d’Initiatives Citoyennes Européennes (ICE). La pétition a déjà recueilli plus d’un million de signatures. L’initiative citoyenne se poursuit, bien que la Commission européenne ait indiqué dès le mois de septembre 2014 qu’elle ne reconnaissait pas cette ICE !

Si en dictature le principe est « Ferme ta gueule ! », en démocratie made in UE, c’est « Cause toujours ! » Avec le même résultat.

Comme dans les journées d’actions ponctuelles, il s’agit d’emmener les gens sur des fausses pistes, dans des actions dont on connaît d’avance l’inefficacité. S’efface petit à petit une culture du conflit qui interdisait qu’on se berce d’illusions : les vieux militants savaient nécessaire la mise en place d’un rapport de force pour obtenir et maintenir la moindre avancée sociale dans une société de classes. Toutes les conquêtes du mouvement ouvrier, sans exception, se sont faites hors du cadre juridique imposé. Le droit de grève, les congés payés n’ont pas été accordés après une pétition …

Pour l’heure, le bilan est lourd pour la gauche. Dimanche dernier, dans le Doubs, le Front National raflait 30 pour 100 des voix, le candidat du Front de gauche un peu plus de 3 pour 100, dans une législative partielle qui n’a réussi à mobiliser que 40 pour 100 des électeurs. La réponse du peuple est de bouder les urnes, ou de voter FN, quand il s’agit de trouver un successeur au commissaire européen PS Moscovici. Le vote FN apparait donc de plus en plus comme un acte politique et comme un vote de classe. On nous dit que Siriza ouvre une voie. Mais la victoire de Siriza en Grèce s’explique autant par le chaos régnant dans ce pays, que par son absence totale de compromission avec une classe politique corrompue. Ce n’est, hélas, pas le cas du PCF acceptant des alliances circonstancielles avec le PS dans des élections locales, ni celui de Mélenchon, ancien ministre socialiste, ourdissant de nouvelles combinaisons avec la partenaire écologiste du PS pendant la première partie du quinquennat de François Hollande, en vue d’une hypothétique prise de pouvoir « citoyenne » à laquelle personne ne croit. Et lui-même peut-être pas.

Donc, non : la victoire de Siriza n’a ouvert aucune voie en France. Une voie s’ouvrirait peut-être si la gauche affichait sa volonté de désigner l’ennemi : le capitalisme mondialisé, et s’attaquait véritablement à son bras armé : la construction de l’europe néo-libérale. Une voie s’ouvrirait peut-être si on ne confondait pas rupture avec le capitalisme et politique anti-austérité pour relancer la croissance. Il serait temps d’affronter franchement ces problèmes si on ne veut pas qu’un parti fasciste prenne le plus légalement du monde le pouvoir chez nous très bientôt.


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commentaires
La gauche française malade de l’Europe - epujsv - 22 février 2015 à 13:31

9 avril 2015, CGT, FO, Solidaires appellent à une journée de grève interprofessionnelle, retraités, chômeurs.
(la FSu réfléchit - les autres n’appellent pas : unsa, cfdt, etC....)

"*Appel CGT FO Solidaires*/

Combattre et réduire le chômage, permettre la création d’emplois en changeant de politique économique, préserver les droits et tous les régimes sociaux, garantir et promouvoir le service public, augmenter les salaires (secteurs public et privé), les retraites, les pensions et les minimas sociaux, constituent des priorités sociales, de surcroît en période de crise. Réunies le 17 février 2015, les organisations syndicales CGT, FO et Solidaires affirment leur détermination pour faire aboutir ces revendications et lutter contre l’austérité et ses impacts destructeurs tant socialement, économiquement que démocratiquement. Le « pacte de responsabilité », la rigueur budgétaire, la réforme territoriale, nombre de dispositions du projet de loi libérale « Macron » ainsi que plusieurs décisions des pouvoirs publics et du patronat aggravent la situation des salarié(e)s, des retraité(e)s et des chômeurs(ses). De nombreuses luttes et mobilisations syndicales sont d’ores et déjà engagées dans les entreprises, les services publics et les secteurs professionnels. Pour faire converger ces revendications et exiger du gouvernement et du patronat qu’ils y répondent, les organisations syndicales CGT, FO et Solidaires s’engagent dans un processus de mobilisation. Conscientes de leur responsabilité, elles invitent les retraité(e)s et les chômeurs(ses) à se mobiliser et appellent l’ensemble des salarié(e)s, du public et du privé, à une journée de grève interprofessionnelle et à manifester le 9 avril 2015.

Paris, 17 février 2015"


La gauche française malade de l’Europe - Ramon - 17 février 2015 à 17:39

C’est vrai qu’on ne vous y a pas vu à la manif M.Bombix comme depuis longtemps d’ailleurs...