Entretien avec Raynal Pellicer

La rue Bourbonnoux ... cent clichés !

jeudi 23 octobre 2014 à 00:20, par Mercure Galant

Raynal Pellicer, est auteur et réalisateur de documentaires. Il vient de faire paraître un album de photographies intitulé "Rue Bourbonnoux", quartier dans lequel il réside depuis quelques années. Il a bien voulu accorder un entretien à l’Agitateur pour évoquer le projet qui est à l’origine de ce travail mais également sa vision de la ville de Bourges d’un point de vue culturel.

La rue Bourbonnoux ... cent clichés !

L’Agitateur : Raynal Pellicer, êtes- vous originaire de Bourges ?
Raynal Pellicer : Pas du tout ! Mais cela fait cinq ans que nous résidons à Bourges dans le quartier Bourbonnoux. Etant Parisien, je voulais quitter la capitale, mais pour des raisons professionnelles, ne pas m’en éloigner de plus de deux heures …
L’Agitateur : Connaissiez –vous Bourges auparavant ?
Raynal Pellicer : Comme n’importe quel touriste, notre première balade nous a conduits dans le centre historique et les marais. Et quand nous sommes passés dans le quartier Bourbonnoux, nous nous sommes dit : c’est là ! Ce fut vraiment un coup de cœur !
L’Agitateur : Vous n’êtes pas non plus photographe ?
Reynal Pellicer : Non, je suis réalisateur, je fais des documentaires pour la télé sur des thèmes très différents, pour Arte, Canal +, la Cinq… Le dernier qui est passé en janvier était consacré à l’Art nouveau à Paris en 1900. Je fais aussi beaucoup de programmes courts : du générique de l’habillage.Je touche à tout ce qui est lié à l’image et j’écris depuis plusieurs années pour les éditions La Martinière. [1] La photo m’intéresse depuis très longtemps.
L’Agitateur : Comment vous êtes vous lancé dans cette nouvelle aventure photographique ?
Raynal Pellicer : Au cours de mes recherches pour mon livre précédent sur la photo de presse retouchée, je me suis aperçu que le Chicago Tribune fait travailler tous ses journalistes sur un site internet uniquement avec un i-phone. Ils sont devenus des i- photographes. C’était intéressant. Maintenant la photo est devenue accessible à tous. Avec mon i-phone 4 et ses quatre millions de pixels j’obtiens de belles définitions, mais avec des contraintes. Je me suis dit que j’allais me promener dans le quartier en m’imposant une contrainte. C’est ce que j’aime beaucoup dans la photo . Dans le photomaton, la contrainte m’intéressait déjà : un espace exigu, quatre pauses en très peu de temps, une focale unique, une lumière de face… Le smartphone, nous impose également des contraintes. Il ne faut pas trop de lumière, en basse lumière, la nuit le rendu est très granuleux et quand on se sert du zoom numérique, c’est extrêmement pixelisé . Sans zoom numérique avec les bonnes conditions de lumière, il faut donc aller chercher le détail en très très gros plan au plus près, en grimpant en haut d’une échelle par exemple…
L’Agitateur : Et vous vous donc êtes fixé pour thème la découverte du quartier Bourbonnoux ?
Raynal Pellicer : Je voulais principalement alimenter un blog que j’ai créé sur le quartier en y mettant une image presque quotidiennement… Pour moi c’était une découverte. Ce qui m’intéresse c’est d’aller chercher des détails qui sont là et qu’on ne regarde pas forcément. Parfois il y a également des plans un peu plus large et puis aussi de heureux hasards comme cette brouette sans roue, trouvée dans la rue.

En roue libre

L’Agitateur : Comment procédez-vous dans cette quête du détail ?
Raynal Pellicer : En cheminant, j’avance très lentement et je regarde partout. Je scrute et de temps en temps, un détail ou un tag apparaissent... C’est aussi partir à la rencontre des gens et des voisins.
L’Agitateur : Cela vous a permis de créer des liens ?
Raynal Pellicer : Dans le quartier, la reprise d’une association, voici deux ans, a rapproché énormément tous les voisins les uns des autres par des événements festifs dans la rue. En créant ce blog et en y plaçant des portraits d’habitants régulièrement, cela a créé un autre lien. Et puis j’ai également commencé le tournage d’un documentaire sur la vie du quartier. On en a diffusé une première partie dans les remparts au mois de juin d’une vingtaine de minutes. Il y a aura une deuxième partie mais la première de toutes les contraintes c’est que je travaille à côté et que je ne peux pas m’y consacrer autant que je le souhaiterais…
L’Agitateur : Quand pensez-vous pouvoir terminer ce film ?
Reynal Pellicer : Je ne sais pas quand je le terminerai ni combien de temps il durera car j’ai cette liberté de ne pas avoir un diffuseur, donc je peux le faire durer autant que je veux. Mais ce qui m’intéresse ce sont les témoignages sur la vie du quartier. Certains des voisins vivent là depuis quarante ou cinquante ans. Pourquoi cet attachement ?
L’Agitateur : Votre travail revêt presque un caractère sociologique...
Raynal Pellicer : C’est un grand mot… L’important c’est d’aller à la rencontre. Il y a des gens qui vieillissent, qui vont partir un jour avec des pans entiers de mémoire de ce quartier. Au moins on va sauvegarder un petit peu cette parole.
L’Agitateur : Sur la création du livre en lui-même, on retrouve à la fois des traces de la mémoire historique de la ville, des traces plus éphémères et plus contemporaines tels que des tags mais aussi des portraits attestant des liens que vous avez pu créer avec les gens du quartier. Il y a aussi un subtil agencement des photos dans les doubles pages de l’album.
Raynal Pellicer : Je voulais avoir un vis-à-vis. Il fallait que ce soit équilibré. Il fallait faire en sorte que la page paire réponde à la page impaire, soit par le cadrage, soit par le thème… Cette centaine de photos n’est pas jetée en vrac, dans un ordre aléatoire. Il y a une toute petite réflexion. Mais cela n’empêche pas de regarder les photos et d’y prendre du plaisir !

Cent commentaires

L’Agitateur : Vos photos sont titrées avec beaucoup d’humour - souvent avec des jeux de mots.
Raynal Pellicer : Ce n’est pas toujours évident mais, par exemple, la photo montrant ces mots « Porte ouverte sur la Bourgeoisie » a été prise à un moment où plusieurs portes et murs du quartier avaient été tagués. La plupart des tags n’étaient vraiment pas bons et cela avait suscité des tas de commentaires chez les habitants. D’où le titre « cent commentaires » (sous entendu S.A.N.S.) …
L’Agitateur : Avez-vous parfois eu quelques difficultés à obtenir des clichés, notamment lorsqu’il s’agit de portraits ?
Raynal Pellicer : Un portrait c’est difficile. Pour les modèles et pour le photographe. Avec un i-phone c’est encore plus difficile car c’est un grand angle.Le smartphone est un bel outil numérique mais il reste un outil capricieux. Deux ou trois choses restent très aléatoires…Il y a ceux qui jouent le jeu, ceux qui sont trop timides… Cela ce fait avec du temps. Parfois, on a le portrait au premier coup, parfois il faut le refaire.

Berruyer penseur

L’Agitateur : Où votre ouvrage est-il diffusé ?
Raynal Pellicer : Il est en vente à peu près chez tous les commerçants du quartier.
L’Agitateur : Vous vous êtes parfois éloigné de la rue Bourbonnoux pour prendre vos photos…
Raynal Pellicer : Oui, d’ailleurs je pense que si je continue, j’ouvrirai même le blog à tout Bourges. Il faut essayer d’aller un peu plus loin.

L’Agitateur : Dans l’interview que vous avez accordé à Laurent Quillerié sur Radio Résonance vous évoquez le fait que vous auriez souhaité faire une exposition de ce travail. Pourquoi ça ne s’est pas fait ?
Raynal Pellicer : Je voulais à tout prix faire ce petit livre qui n’est d’ailleurs pas destiné qu’aux gens du quartier. Et je voulais faire le livre le moins cher possible. J’ai démarché plusieurs imprimeurs mais c’est très compliqué de faire un livre à moins de 10 €. Nous avons procédé à un premier tirage de 350 exemplaires. Un retirage est en préparation. Le format 13X17 reste agréable et les tirages sont de bonne qualité et je voulais ajouter un euro en plus pour l’association du quartier. Donc depuis trois ou quatre mois, j’ai proposé à la mairie de Bourges plusieurs rendez-vous pour présenter le livre et donner un peu d’écho à ce projet... mais je n’ai jamais obtenu de réponse… Silence radio !
L’Agitateur : À ce propos, Comment percevez-vous le rayonnement culturel de la ville. Que faudrait-il faire selon vous pour développer le dynamisme et la vie des quartiers, comme dans la rue Bourbonnoux ?
Raynal Pellicer : Dans l’interview précédente, je disais que la vie de quartier reste quelque chose de très fragile. Cela dépend des uns et des autres. D’un point de vue culturel à Bourges (sans faire de politique) il faut prendre en compte la dernière série d’événements tels que la fermeture de la maison de la Culture, la disparition de différents festivals et de la biennale d’art contemporain qui ne sont - pour le moment - compensés par aucune autre création. Pour des tas de gens cela évoque peu de choses, mais il reste quoi au final, en dehors du Printemps de Bourges ? Plus grand-chose ! Donc si l’on ne prend pas chacun en main la destinée culturelle de cette ville, je ne pense pas que cela viendra du côté "officiel" : Mairie ou autre… Dans la rue Bourbonnoux, il y a des tas de tentatives, des expositions régulièrement… Dans d’autres quartiers aussi sans doute… Il faut rester éveillé et pour certains même se réveiller !

Bibliographie de Raynal Pellicer :

Rue Bourbonnoux - anciennement rue des bonnets rouges 1793 - Ed. Bemo Graphic - septembre 2014 - (10 €)

Enquêtes générales - Immersion au coeur de la brigade de répression du banditisme.Ed. La Martinière - 2013 - illustrations de Titwane.

Version originale - La photo de presse retouchée, Ed. La Martinière - 2013

Photomaton Ed. La Martinière - 2011

Présumés coupables - Histoire de la photo judiciaire,Ed. La Martinière - 2008

[1La liste des ouvrages de Raynal Pellicer est consultable en fin d’article.


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commentaires
La rue Bourbonnoux ... cent clichés ! - Franck - 24 octobre 2014 à 21:12

Bravo à vous pour vos actions citoyennes destinées à faire vivre un quartier de Bourges.