Des anarchistes dans le Cher, hier et aujourd’hui !

Première partie, 1870-1914
vendredi 17 février 2012 à 07:48, par Kobayashi

Si durant les années 1970 nous avons connu un regain d’intérêt pour l’anarchisme, depuis les années 1990 et particulièrement ces dernières années, c’est à une renaissance de ce courant que nous assistons, notamment au travers d’une variante de la famille des anarchismes, l’anarchisme insurrectionnel [1]. Le livre de John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir en 2002 a même eu un écho bien au-delà de la mouvance des anarchismes, puisque sous l’impulsion d’Olivier Besancenot le NPA a tenté d’incorporer certaines des thématiques libertaires. Depuis, du manifeste du Comité Invisible, L’insurrection qui vient, à l’ensemble des pratiques émeutières sur la planète, les anarchistes sont partout, et si ce n’est pas sous cette forme, la thématique de la recherche de l’horizontalité dans les luttes est présente bien au-delà comme par exemple dans le mouvement nord-américain Occupy Wall Street [2].

Dans notre petit coin de Berry, on pourrait alors se dire qu’il n’y a que trop peu de traces du passage et de la présence des anarchistes dans le Cher. Mais ce serait aller trop vite. C’est ce que nous allons essayé de montrer en quelques chroniques j’espère les plus régulières, en commençant par le XIXe siècle pour progressivement parler de ces dernières années. On parlera d’abord de la période 1870-1914.

La période qui va ainsi de la Commune de Paris en 1871 à la veille de la Première guerre mondiale [3] est riche d’une expérience militante anti-autoritaire et insurrectionnelle dans une région où la croissance économique pendant le Second Empire (1852-1870), a donné un essor quantitatif à la classe ouvrière du Cher sans régler l’insécurité de son existence sociale prise au piège dans la cage de fer de la forme de vie sociale capitaliste. Forme de vie collective où les individus sont obligés de rentrer en rapport les uns avec les autres, au travers du travail, de la valeur, des marchandises et de l’argent, ce qui est inédit au regard des sociétés précapitalistes [4].

Les révolutionnaires dans le Cher : Edouard Vaillant et le blanquisme

La Commune de Paris est on le sait le moment fort de la gauche révolutionnaire en France. Une gauche qui n’a plus grand chose à voir avec la gauche d’aujourd’hui, ce qui nous amène à constater qu’en effet en ce début du XXIe siècle, il n’y a plus de socialistes ou de communistes en France, seulement des pâles reflets de ce qui a été l’histoire révolutionnaire de la France entre 1792 et 1871. On ne sait que trop que le PS a abandonné toute référence à Marx et que le Front de Gauche ne connaît à son sujet que la vulgate marxiste issue du léninisme et du stalinisme qui ne prône qu’un altercapitalisme pour tout le monde et pas seulement pour les riches [5]. Car il faut voir le paysage varié de tous ces grands courants du socialisme du XIXe siècle qui se retrouvaient dans la l’expérience auto-instituante de la Commune : les partisans de l’insurrection et du coup de main autour des disciples de « l’enfermé », Auguste Blanqui ; les amis de Proudhon et des idées associationnistes propres au mouvement coopératif tourné autour de l’éloge du travail artisanal ; les bakouninistes et leur stratégie des sociétés secrètes révolutionnaires, de refus de l’Etat et de toute centralisation ; les militants de la Première Internationale qui sera accusée d’avoir mis le feu à la capitale française [6] ; enfin des mouvances encore marquées par les thématiques néojacobine et sans-culotte qui sont restées en mémoire depuis 1792-1794 et qui ressurgissent telles une vieille taupe. La répression sanglante par les Versaillais est bien sûr un coup de tonnerre terrible pour l’ensemble de ces forces révolutionnaires (et plus jamais en France, le mouvement révolutionnaire ne s’en remettra), les survivants qui échappent au bagne, fuient (c’est une proscription qui ne sera levée qu’au début des années 1880) à Londres ou en Suisse qui deviennent deux plaques tournantes de la militance révolutionnaire internationale, points d’appuis pour allumer d’autres feux en Europe.

Depuis longtemps les archives nous ont appris que la classe ouvrière du Cher n’a pas été indifférente à la Commune. À la gare de Vierzon, des militants ont même tenté de bloquer des soldats versaillais partant perpétuer leur massacre, et plusieurs communes du Cher attendaient un signe clair de victoire à Paris pour basculer dans l’insurrection. On raconte que des militants préparaient chez eux des drapeaux rouges à installer sur les bâtiments de leur commune et que les va-et-vient entre le Cher et Paris ont été nombreux. Après la Commune, les années 1870 sont de manière générale marquées par les replis dans le Cher des militants locaux qui étaient partis à Paris. Après les années de proscription, les années 1880 dans le département sont alors celles du développement de l’influence d’Edouard Vaillant sur le mouvement socialiste révolutionnaire local.

Edouard Vaillant est en effet né à Vierzon même si dès l’âge de deux ans, ses parents partirent habiter Paris. Dès les premiers jours de la Commune de Paris dont il fut le délégué à l’instruction publique, il s’enthousiasma pour la révolution et fut un adepte des thèses d’Auguste Blanqui. Après son exil à Londres pendant presque dix ans où il rencontra les amis de Marx et où il permit à des militants français (parce qu’il était germanophone) de connaître ses thèses, Edouard Vaillant fit son retour « au pays » en venant s’installer à Vierzon, moins d’ailleurs pour des raisons familiales que stratégiques.

Vaillant était déjà célèbre dans des cercles révolutionnaires locaux et il fut accueilli en 1880 à la gare de Vierzon par une foule l’acclamant aux cris de « Vive la Commune ! Vive la République ! » Il devient ainsi très rapidement une figure majeure du socialisme révolutionnaire dans le Cher en constituant autour de lui, le Comité Révolutionnaire Central (C.R.C.) de Vierzon. Mais Vaillant tout en restant très marqué par les idées insurrectionnalistes de Blanqui, donna une autre direction à ce groupe local que celle prise généralement par les groupes blanquistes, en tentant d’élargir le plus possible son recrutement et en usant de tous les moyens de propagande. Bien sûr, en bon disciple de Blanqui, Vaillant avait commencé par reprendre les thèses de « l’enfermé », il dénonçait la « duperie du suffrage universel », comme « mode d’escamotage périodique de la révolution ». On sait en effet que l’élection n’eut jamais le coeur des révolutionnaires (depuis la grande déception de juin 1848 quand la République a massacré les forces ouvrières lors de l’épisode des Ateliers Nationaux) et qu’elle n’a jamais incarné la démocratie véritable [7]. Mais dès 1881, la tactique du C.R.C. pour toucher les masses encore non acquises à la Révolution, fut pourtant la participation à l’action électorale. Bien sûr George Féline, militant anarchiste à Bourges, déclara que « les révolutionnaires ne peuvent s’associer aux radicaux » (un parti bourgeois de l’époque), mais comme aujourd’hui, après avoir défendu ses propres candidats au premier tour, le C.R.C. appliquait « la discipline républicaine au second tour ». Déjà le « vote utile » et autres combines des partis [8]. La position de Vaillant était on ne peut plus claire pour ce qui était de la stratégie pour faire face à la situation calamiteuse de la classe des exploités : « À cette situation, il n’y a qu’un remède, c’est la Révolution. Mais pour arriver à cette révolution il est nécessaire que le Parti socialiste soit au pouvoir car de cette manière elle se fera bien plus facilement [...]. Il faut donc se servir d’abord d’un bulletin de vote [...] en dehors de toute compromission et toute alliance ». Plus d’un siècle après, certains diront que l’on attend encore. Quoiqu’il en soit, avec cette tactique de participation à l’action électorale, Vaillant avait donc mangé son chapeau, c’en était trop. Lors de la présentation des listes de candidats aux élections de 1885, Vaillant se mit alors à dos de nombreux militants révolutionnaires.

Naissance de l’anarchisme dans le Cher

C’est le 18 mars 1886, lors d’une réunion au café de Flore place de la Nation à Bourges, que s’opère une scission parmi les socialistes révolutionnaires locaux. Suite à un exposé de l’anarchiste parisien Lorié qui s’est tout spécialement déplacé pour l’occasion, une quarantaine de militants coupent les ponts avec Vaillant et le C.R.C. et se rattachent désormais aux thèses anarchistes. Le commissaire central de Bourges écrit le 19 Avril 1886 : « à la suite d’une réunion privée qui a eu lieu au salon de Flore , place de la Nation, le 18 Mars écoulé, j’ai l’honneur de vous informer qu’une scission s’est produite parmi les membres du Parti révolutionnaire. Un sieur Lorié, anarchiste, venu exprès de Paris sur l’invitation qui lui avait été faite par Dupuis a rallié à sa doctrine quelques partisans qui se sont séparés des socialistes dont les sieurs Tanchoux et Gayer sont les principaux membres ». La tactique électoraliste du C.R.C. semble être le gros du grief. À Paris, les archives de la sureté générale parlent de la création de ce groupe d’anarchistes à Bourges et les 8 et 9 juillet 1886, deux réunions anarchistes vont réunir 170 personnes à Bourges autour du menuisier et orateur anarchiste Joseph Tortelier qui se déplace depuis Paris afin de renforcer ce groupe. En septembre 1888, le milieu anarchiste berruyer en vient même à inviter Louise Michel, dont la conférence sera un véritable succès, réunissant près de 2000 personnes selon les archives de la préfecture.

Fortuné Henry et la propagande par le fait dans le Berry

Pourtant en 1892, l’arrivée à Bourges de l’anarchiste Jean Henry, dit Fortuné, transforme la physionomie de l’anarchisme berruyer qui jusque là ne semblait se détacher des socialistes révolutionnaires de Vaillant que sur la seule question de l’action électorale. Le frère de Henry, Emile, participe aux attentats anarchistes du 3 novembre 1892 et du 12 février 1894 à Paris. Henry Fortuné défraye alors la chronique berruyère par ses conférences qui appellent à la « propagande par le fait », ce qui lui vaut la cour d’Assise (il serait d’ailleurs très intéressant de retrouver dans les archives municipales, cette presse locale qui s’offusquait du soutien de Fortuné à son frère). Il appelle vigoureusement à l’emploi immédiat de la violence contre la bourgeoisie, la police, la justice, premier pas d’après lui vers une violence généralisée, qui constituera selon lui le « grand soir ». Sa définition de l’anarchisme est toute lapidaire : « Disparition des parasites et anéantissement des exploiteurs ». Il faut dire que dans la famille on est presque anarchiste de père en fils. Le père de Jean et Emile, anarchiste, Communard et poète fouriériste à ses heures, a vécu à peu près toutes les brèches révolutionnaires au XIXe siècle.

L’anarchiste Fortuné Henry

Le procès de Fortuné à Bourges est public, 500 personnes y assistent. Le bonhomme a un caractère bien trempé : « Prenez note M. le commissaire central, le premier cochon qui me brutalisera, qui m’arrêtera, je lui brûle la gueule ». Mais les anarchistes locaux sont divisés sur la tactique de la propagande par le fait, si une quinzaine de personnes crient dans la salle de la Cour d’Assises de Bourges, « Vive l’anarchie, vive Ravachol », certains anarchistes du Cher condamnent cependant la « propagande par le fait » sans se désolidariser des camarades qui ont des procès. En 1893, Emile Pouget, le directeur du journal Le Père Peinard demande à Fortuné de quitter le Cher pour les Ardennes pour y donner des conférences anarchistes, et comme une partie des militants favorables à la propagande par le fait qui ne choisiront pas l’action syndicale comme voie de repli, en 1903 il y fondera la communauté expérimentale libertaire « L’Aiglemont » (un « milieu libre » [9]).

Cependant, après l’assassinat du président français Sadi-Carnot par l’anarchiste italien Sante Caserio en juin 1894, la répression du milieu libertaire dans le Cher est féroce. La préfecture fait des perquisitions chez des militants anarchistes suite à des propos glorifiant l’assassinat et l’apposition d’une affiche à Saulzais-le-Potier. Les perquisitions vont terrifier les militants, notamment ceux isolés dans des petits villages, comme ce vieux cloutiers de Nérondes qui « reconnaît avoir affiché des placards anarchistes mais ne s’occupera plus de rien ».

Le repli des anarchistes vers l’action syndicale : naissance du syndicalisme révolutionnaire dans le Cher

En 1894, réprimés du fait de leur soutien parfois au moins verbal à la « propagande par le fait » (violence politique), la majorité des anarchistes du Cher se replient sur la stratégie du syndicalisme révolutionnaire. Les libertaires du Cher suivent ainsi l’appel d’Emile Pouget dans le journal Le Père Peinard :

« Un endroit, où il y a de la besogne, pour les camaros à la redresse c’est la Chambre syndicale de leur corporation. Là on ne peut pas leur chercher pouille : les Syndicales sont encore permises ; elles ne sont pas, - à l’instar des groupes anarchos – considérées comme étant des associations de malfaiteurs »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le syndicalisme révolutionnaire cherche alors à sortir les syndicats de leurs aspects petits-bourgeois, c’est-à-dire, revendicatifs, professionnels et corporatistes. C’est-à-dire un syndicalisme comme disait Rosa Luxemburg, où « L’essentiel, ce n’est pas que les esclaves soient mieux nourris ; c’est d’abord qu’il n’y ait plus d’esclaves. » D’emblée, les anarchistes du Cher vont s’emparer du thème de la Grève générale (lancé par des militants à Paris) qui devient le nouvel objectif de ce type de syndicalisme. Georges Féline écrira même en 1910 une chanson à ce propos [10].

Des paroles aux actes, en septembre 1899, le milieu militant à Bourges se coordonne alors pour lancer une Grève générale dans le Cher. Des socialistes et des anarchistes participent à cette initiative, et des liens d’amitiés entre le socialiste Pierre Hervier, fondateur de la Bourse du Travail de Bourges de Bourges en 1897 et les anarchistes s’établissent, permettant une tolérance de la presse anarchiste au sein de la Bourse. En 1900 est même créé un sous-comité d’étude de la grève générale qui devient une organisation autonome dans la Bourse du travail. Et les thématiques de ce sous-comité s’intéressent plus particulièrement à un courant de l’anarchisme fondée par le prince anarchiste russe Pierre Kropotkine, le « communisme libertaire » très en vogue à ce moment là. La propagande dans ce sous-comité s’élargit à l’antimilitarisme, au malthusianisme (à la mode dans les milieux anarchistes de cette époque), à la lutte pour les huit heures de travail quotidien. La bibliothèque de ce sous-comité diffuse des brochures comme « Quelques idées fausses sur l’anarchisme », « Aux anarchistes qui s’ignorent », « L’ABC du libertaire ».

On sait l’importance en France des courants proudhonniens et de leur thématique cherchant à associer le patron et l’ouvrier, le capital et le travail, dans l’idée de la coopérative, de l’éloge du « travail honnête » et d’une France peuplée de millions de petites propriétaires et producteurs indépendants (on connaît l’attitude ambigüe des Proudhonniens dans la Première Internationale et lors de la Commune) [11]. Les militants à Bourges de ce socialisme là (comme ailleurs), ne veulent pas entendre parler du mot d’ordre de « grève générale ». Cette stratégie les écarte de leurs objectifs. Il est intéressant de reprendre ici intégralement le discours que fait le socialiste coopérateur Henri Coquard lors d’un congrès à la Bourse du Travail de Bourges qui montre bien les tensions de la gauche de l’époque :

« J’estime qu’il est un devoir de chaque délégué de s’expliquer franchement sur la question si avide et si brûlante de la Grève Générale et savoir, une fois pour toutes, si c’est par ce moyen qu’on prétend, comme par un coup de baguette magique, transformer un ordre social établi depuis des centaines d’années, si l’on croit que par ce moyen de Grève Générale, le désordre d’hier sera l’harmonie de demain ! Eh bien ! Je vous dis carrément : Non ! et je dirai plus encore sans craindre les foudres des grincheux et des sectaires, je prétends qu’il y a plus de " Bluff " que de sincérité chez les propagandistes de cette méthode d’action ! Aux sincères, je prouverai que s’ils considèrent la grève Générale comme le seul moyen d’émanciper la classe ouvrière, ils se trompent grossièrement ! À mon avis, le prolétariat conscient a, s’il le veut aujourd’hui-même une arme entre les mains autrement précieuse pour son émancipation morale et matérielle c’est la coopérative de consommation, c’est la coopérative de production ! Par la coopérative, l’ouvrier fera son éducation des hommes et des choses, acquerra des connaissances commerciales et industrielle qui lui permettront de discuter sur toutes choses avec un raisonnement sûr et pondéré ! Il sera un homme et non une machine ! »

Dans les syndicats, la lutte entre les syndicalistes réformistes et les syndicalistes révolutionnaires fut âpre. Cependant après 1907 dans les établissement militaires, la lutte est perdue pour les révolutionnaires comme Gaston Delabuxière (employé de bureau à la pyrotechnie), les réformistes menés par Eugène Lucain sont par leur stratégie de négociations beaucoup plus nombreux et remportent les élections professionnelles. Les années 1910 sont ainsi un moment de recul pour l’anarcho-syndicalisme dans le Cher qui n’arriva jamais à élargir ses membres dans ces terres du Berry dominées par la forte personnalité d’Edouard Vaillant.

À la veille de la Première guerre mondiale : la propagande anti-militariste et la campagne pour la libération de Pierre Hervier

Les années 1900 sont marquées par une montée des tensions entre les grandes puissances capitalistes européennes, notamment autour des terres à colonisées. Les deux crises du Maroc en 1906 et 1911, entre la République Française et l’Empire Allemand, amène dans tous les esprits la possibilité d’une guerre. Et c’est dès 1904 qu’un rapport de police dépeint le militant anarchiste de Bourges Achille Légeret comme étant l’ « antimilitariste le plus violent et le plus dangereux de notre ville ». Il crée le journal anarchiste bi-mensuel « Les Semailles » qui dure quelques mois entre juin et octobre 1905. Ernest Girault de Vierzon crée de son côté à Bourges son Association Internationale Antimilitariste qui organise des conférences où parlent des orateurs comme Miguel Almerayda ou Sébastien Faure qui fit des conférences antireligieuses qui réunirent 350 personnes en mars 1910 et 600 en mars 1912.

Les anarchistes avaient pignon sur rue à Bourges durant ces années. La neutralité bienveillante de Pierre Hervier envers les anarchistes à la Bourse du Travail, leur permit d’y avoir un bureau et la couturière anarchiste Eugénie Giraud était même la vice-présidente de la Bourse. Mais le 1er juillet 1913, Hervier est arrêté pour avoir organisé une caisse du " Sou du soldat ". Par respect pour Hervier, les anarchistes s’ils ne votèrent pas pour la candidature socialiste au conseil d’arrondissement qui se proposait d’amnistier Hervier, ils ne firent en 1913 aucune « action anti-votarde » qui aurait pu être défavorable à Hervier.

Comme on le voit, le Cher comme tant de régions est traversé par les courants révolutionnaires français. La Commune et l’interprétation dans les décennies qui suivirent des raisons de son échec par les militants révolutionnaires, explique pour beaucoup l’émergence dans les années 1880-1890 des divers courants opposés au sein de la gauche révolutionnaire. On sait que la Première Internationale est dissoute en 1872 au congrès de La Haye, les dissensions à ce niveau international d’organisation (entre ceux qui pensent que l’on a perdu par un manque d’organisation et de direction commune et ceux qui pensent que la Commune par sa spontanéité et son inorganisation a incarné dans l’échec, des relations enfin égalitaires et horizontales) se retrouvent dans les divisions des militants du socialisme révolutionnaire du Cher. Ici comme ailleurs et encore aujourd’hui, la question des moyens reste la source des principales fractures. Les anarchistes du Cher dans ces années connaîtront ainsi les différentes formes et stratégies successives de lutte. Si comme nous l’avons vu, la question de la participation électorale est immédiatement source de tension dans cette nouvelle République née en 1870 et qui voit revenir les proscrits de la Commune dans les années 1880 en les laissant participer aux élections, immédiatement la question de la propagande par le fait puis son échec, laisseront place au syndicalisme révolutionnaire et bientôt aux luttes antimilitaristes à la veille de la grande boucherie mondiale.

Mais là encore, dans le Cher comme ailleurs, les milieux révolutionnaires internationalistes n’arriveront pas à refuser la guerre qui s’annoncent en 1914. L’ensemble des courants et partis socialistes en Europe qu’ils soient réformistes ou révolutionnaires, se plieront à la logique nationale et non à celle de l’internationale de la lutte des classes-soeurs ouvrières du monde entier en refusant de participer à la guerre des bourgeoisies et des impérialismes capitalistes. Il suffira de quelques heures et d’un grand émoi, pour anéantir tant d’effort. Mais déjà, des anarchistes, antipatriotes et antimilitaristes du Cher et d’ailleurs, vont rejoindre au milieu d’une Europe à feu et à sang, la petite ville de Zimmerwald en Suisse où se réunit en plein conflit, les derniers restes de l’esprit internationaliste, afin de souffler une nouvelle fois sur les braises...

[1Pour une tentative de typologie des anarchismes, voir Gaetano Manfredonia, Anarchisme et changement social : Insurrectionnalisme, syndicalisme et éducationnisme-réalisateur, Atelier de création libertaire, 2007.

[2Pour une analyse critique des limites du mouvement Occupy Wall Street, voir De quoi l’indignation est-elle le nom ? Au coeur de la société capitaliste, une nécessaire rupture.

[3La plupart des informations, les illustrations et toutes les citations dans ce texte (hormis celle de Rosa Luxemburg) proviennent du livre de Claude Pennetier, Le socialisme dans le Cher, 1851-1921, Editions Delayance et de la Maison des Sciences de l’Homme, 1982.

[4La littérature historiographique ou anthropologique sur le sujet est immense, citons seulement le livre de Maurice Godelier, Aux fondements des sociétés humaines, Albin Michel, 2008 ou celui de Serge Latouche, L’invention de l’économie, Albin Michel, 2005

[5C’est là l’interprétation menée ces dernières années par la mouvance de la critique radicale de la valeur, dont on pourra voir brièvement un des propos dans cet article de L’Agitateur Critique de la finance ou du critique du capitalisme ? Au-delà de l’anticapitaliste tronqué de la gauche.

[6Voir l’excellent livre de Mathieu Léonard, L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale, La Fabrique, 2011

[7Je reprends seulement ici ce mot de Cornélius Castoriadis qui écrivait que « la démocratie “représentative”, en fait négation de la démocratie, est la grande mystification politique des temps modernes. La démocratie “représentative” est une contradiction dans les termes, qui dissimule une tromperie fondamentale. Et la mystification des élections va de pair avec cette mystification (Castoriadis, « La pensée politique », in Ce qui fait la Grèce, p. 299).

[8On ne sait aussi que trop, combien la tactique de Lénine qui sera donnée aux partis communistes de la Troisième Internationale, de participer aux élections de la démocratie bourgeoise dans l’objectif de propager la propagande révolutionnaire (fonction de tribune) a abouti progressivement à l’abandon de tout horizon révolutionnaire, c’est-à-dire à la sage et petite-bourgeoise « révolution citoyenne » d’un Mélenchon et de son Front de gauche. Le caractère non-révolutionnaire à laquelle a abouti cette stratégie dont on nous annonçait les victoires futures s’illustre aussi bien en France en 1945 avec un Parti Communiste Français qui a refusé la lutte révolutionnaire à la sortie de la guerre, qu’en Grèce aujourd’hui où le K.K.E. (parti communiste grec stalinien) est incapable de sortir de sa stratégie électorale pour basculer dans l’action révolutionnaire, et mieux, devient toujours plus le supplétif des flics pour protéger le Parlement contre la " canaille anarchiste " (pour la presse bourgeoise, les " casseurs "). Voir Grèce : les Staliniens collaborent, les flics assassinent ; voir également Chroniques grecques : la conscience révolutionnaire en gestation

[9Voir le très intéressant ouvrage de Céline Beaudet, Les milieux libres. Vivre en anarchiste à la belle époque en France, Les éditions Libertaires, 2006

[10On peut retrouver cette chanson dans le livre de Gaetano Manfredonia, Libres ! Toujours... Anthologie de la chanson et de la poésie anarchiste au XIXe siècle, Ateliers de création libertaire, 2011. Merci à Cyrano pour l’info

[11Ces idées avaient été vertement critiquées dans le pamphlet de Marx, Misère de la philosophie en 1847.


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