On nous présente partout le processus des primaires pour la prochaine élection présidentielle comme un progrès. N’est-il pas naturel qu’une frange importante de la population – dont le cœur penche à gauche – s’exprime sur le candidat le mieux à même de la représenter dans la prochaine joute électorale pour la désignation du futur Président de la République ? N’est-il pas naturel que l’arbitrage soit le fait de tous, plutôt que d’une poignée de militants qui, après tout, ne représentent qu’eux-mêmes ? En ce sens, ce processus des primaires serait un progrès de la démocratie, si la démocratie veut dire que la décision politique est l’affaire de tous, et pas seulement d’une poignée de militants, fussent-ils les plus sérieux et les plus dévoués.
Ce beau raisonnement pèche néanmoins par quelques oublis. L’idée de primaire ne résulte pas d’un choix politique favorable à davantage de démocratie, elle est d’abord le fruit de la nécessité. Voilà bien longtemps que le PS n’a plus dans son personnel un personnage suffisamment charismatique et à la stature éprouvée unanimement pour en faire son champion. Les derniers en date furent Lionel Jospin et François Mitterrand. Il est vrai que ce dernier a gagné, et à deux reprises encore. Mais le PS d’après Mitterrand n’était plus exactement le PS de 1981. Après le tournant libéral des années 80, et surtout après les mutations profondes du capitalisme qui ont rendu caduque une hypothétique troisième voie qui jugeait possible de trouver un équilibre entre les intérêts du capital et le monde du travail, la principale force politique de gauche a bien du mal à se démarquer, dans la définition des problèmes comme dans la proposition de solutions, de ses challengers à droite. On tient sans doute l’une des clés du séisme de 2002, et l’éviction de Jospin au second tour au profit de Le Pen. On ne reviendra pas là-dessus, puisque nous l’avons assez répété dans les colonnes de l’Agitateur. Les électeurs savent que le PS représente au mieux l’alternance. Ils n’ont pas d’illusions et n’attendent pas d’alternative.
Le PS est un parti en panne d’idées, non parce qu’il est composé de gens inintelligents qui n’en auraient pas, mais parce que les idées ne sont plus à l’ordre du jour depuis la fin proclamée des idéologies. Il s’agit d’être sérieux : le système est ce qu’il est et ne changera pas, mettez vous bien ça dans la tête ; il s’agit de gérer, en malmenant le moins possible « les valeurs de gauche » : justice sociale minimum, solidarité, respect du pacte républicain. C’est l’image que veut donner Hollande : une gestion de bon père de famille, avec une touche « d’humanisme », qui rompt avec la brutalité et la vulgarité sarkozystes. Sur quoi la droite peut bien ironiser, en montrant que si les socialistes acceptent les prémisses du problème – sur la crise, sur l’Europe, sur les bouleversements qu’induisent la « modernisation » de notre économie – ils devraient logiquement en inférer des solutions proches de celles préconisées et mises en œuvre par les forces actuellement au pouvoir. À ne pas le faire, ils versent soient dans l’hypocrisie, soit dans l’inefficacité [1]. Hollande sera-t-il un Chirac de gauche ?
Parce qu’elle n’a pas rompu avec certains fondamentaux de la gauche républicaine française, Martine Aubry représente la caution socialisante du Parti Socialiste. On peut lire sur Démocratie et Socialisme, le site du très à gauche Gérard Filoche : « La candidature de Martine Aubry à l’élection présidentielle repose sur […] une préoccupation constante de redonner priorité et avantage au Travail face au Capital. » Où l’on voit que les fondamentaux marxistes sont encore présents, sinon dans les actes, au moins dans les discours de certains ténors du PS. Seulement, seulement … il reste à convaincre. Si l’on prend la réforme des 35 heures, œuvre emblématique de Martine Aubry, on ne doit pas oublier qu’elle fut accompagnée de concessions comme l’annualisation, qui arrangeaient bien patrons et employeurs, lesquels profitèrent aussi des 35 heures pour justifier la « modération » salariale.
Qu’il tente de la séduire sur sa droite (Hollande) ou sur sa gauche (Aubry), le PS ne passionne plus la France d’en bas, ni celle du milieu d’ailleurs. Le PS est devenu un parti d’élus, coupé de sa base populaire. Une formation politique sans ambitions sociales réelles, où les clivages se font d’abord sur les personnes avant de se faire sur les idées.
Avec le recul des idées vient la promotion du spectacle. Des primaires ouvertes aux non militants ont quand même de quoi étonner. C’est une sorte de consécration de l’effondrement des partis politiques ancienne manière, qui élaborent des programmes, où l’on forme des militants et où bouillonnent les idées. La démocratie qui progresse avec ces primaires, c’est la démocratie d’opinion.
Le progrès réel de la démocratie, ce serait l’engagement de davantage de gens dans la chose politique, pour débattre et décider. Pas la transformation du débat politique en caricature de choix, sur le modèle des émissions de télé-réalité [2]. On peut se demander d’ailleurs ce qui va bien pouvoir motiver les derniers militants de base à rester dans un parti, dont la ligne programmatique est élaborée par les têtes pensantes parisiennes, et où ils n’ont pas plus droit à la parole que n’importe qui lorsque des choix majeurs qui engagent leur formation doivent être faits.
Les primaires au PS, ayant été décidées pour départager des personnalités charismatiques quand il n’est plus question de ferrailler pour des idées, marquent une étape de plus dans la déliquescence de la vie politique d’une république décidément bien malade.
[1] Bernard Javerliat relève dans nos colonnes le genre de contradictions que François Hollande est conduit à exprimer dans la situation délicate qui est la sienne, lorsqu’on veut bouger en restant sur place, c’est à dire en acceptant les termes du problème posé par l’adversaire, et donc les solutions. Soit le problème de l’éducation : « François Hollande a promis hier vendredi qu’il recréerait en 5 ans, s’il était élu à l’Elysée, les "60.000 à 70.000" postes supprimés dans l’Education nationale depuis 2007. Qui croire ? Le François Hollande du 5 avril 2011 qui entérine les suppressions de poste sarkozystes dans « l’Express » , ou celui du 9 septembre 2011 qui dit vouloir recréer ces postes pendant sa campagne pour l’Elysée ? »
[2] Irène Félix, soutien local à Martine Aubry, résume bien la situation avec une candeur d’ailleurs un peu consternante : « Le message est simple : tout le monde peut voter. Et il s’agit tout simplement de choisir celle ou celui qui battra Sarkozy ». Chers amis, vous êtes convoqués dans un casting. Qu’importe les idées, pourvu qu’on ait notre champion. Du côté de son compétiteur local, Yann Galut, on évoque bien quelques idées, mais selon leur utilité dans la circonstance. Ainsi, Monsieur Galut semble être pris d’un intérêt soudain pour les problèmes ayant trait à l’éducation, depuis qu’il soutient la candidature de François Hollande. Cette passion est-elle bien sincère, ou ne fait-il que reprendre « les éléments de langage » du candidat à la primaire PS ? Un fait certain : dans son livre « Demain est un autre jour », pas une ligne n’est consacrée à l’éducation.
Primaires à gauche : progrès ou recul de la démocratie ?
- bombix
- 15 septembre 2011 à 11:57
Je ne sais pas si l’on peut considérer la primaire socialiste comme partie intégrante de la démocratie.
La démocratie n’existe pas en dehors des procédures réelles par lesquelles elle se manifeste. Ces primaires sont propres à une organisation politique, et non inscrites dans les institutions — certes — mais étant donné la place que tient ce parti sur l’échiquier politique français, il est certain que ces primaires ont une signification politique qui dépasse largement la vie interne du PS. Ne serait-ce que parce qu’elles s’adressent aussi aux non-militants. Ces primaires font partie intégrante de la vie (ou plutôt de la non-vie) démocratique en France.
Disons, que c’est une élection d’un parti politique, élection très ouverte soit, mais interne à un parti politique quand même. Donc, c’est certainement un progrès démocratique pour le PS. Mais on ne peut pas parler de progrès démocratique pour la France...ni même de recul d’ailleurs.
J’ai écrit mon article en essayant de montrer que ce « progrès » — on le présente comme ça — n’en est pas un. Ne pas oublier qu’à l’origine, le PS voulait organiser des primaires pour toute la gauche, incluant donc aussi le Front de gauche et EELV . Qui ont refusé.
Et puisqu’on parle de démocratie, on pourrait souligner aussi que ce genre d’opérations renforce la bipolarisation de la vie politique française, déjà très inscrite dans les institutions de la Vème République. Pour De Gaulle cela se justifiait par l’argument qu’il fallait sortir de l’instabilité permanente de la IVème. Mais tout ce qu’on gagne en stabilité et en efficacité, on le perd en équité de la représentation et en démocratie.
Je m’interroge par exemple sur le positionnement de Filoche, pour qui j’ai par ailleurs beaucoup d’estime. En acceptant le principe des primaires, il accepte aussi le verdict des urnes.
Il écrit : « Pour supprimer le poids que la dette publique ferait peser sur la politique sociale et économique du pays, il y a deux orientations possibles : soit on la fait payer par les salariés, par ceux qui tentent de vivre de leur travail, soit on la fait payer par les actionnaires, notamment ceux des banques. Papandréou, Zapatero, Socratès ont fait le choix de la première solution : on voit ce qui leur en coûte, ce n’est pas ainsi qu’on peut battre la droite.
Rien ne nous laisse supposer que François Hollande nous propose une autre voie que celle des dirigeants des PS grecs, portugais et espagnols. »
Et si Hollande gagne la primaire — ce qui n’est pas invraisemblable — il fera campagne pour une option politique qu’il combat par ailleurs ? Etant donnés les rapports de force actuellement au PS, je ne vois pas comment l’aile gauche pourrait tirer profit du jeu des primaires. En revanche je vois bien comment le courant majoritaire — qui est à droite — peut faire taire son opposition, claironner l’appel à l’unité, et rafler la mise. C’est ce qui se passera de toutes façons au second tour, avec le FdG. Mélenchon a commencé à faire des appels du pied au PS, et les communistes négocieront leurs circonscriptions aux législatives qui vont suivre. Quant à EELV, faisons leur confiance pour se vendre au meilleur prix.
En participant aux primaires socialistes, on partage surtout les valeurs de la Vème République, monument de démocratie s’il en est.
Primaires à gauche : progrès ou recul de la démocratie ?
- Eulalie
- 15 septembre 2011 à 18:07
" il suffit de :
a) ......
b) se reconnaître dans les valeurs de la gauche et de la République
c)......."
Mmmm... voyons, réfléchissons ensemble : pour s’y reconnaïtre, il faut déjà les avoir connues au moins une fois. S’être déjà connu soi- même dedans. Les connaïtre, aussi. Est-ce que c’est soi qu’on doit reconnaïtre dedans ou reconnaïtre quelqu’un d’autre qu’on a déjà connu ou se reconnaïtre les uns les autres ? Genre : " Eh toi ! je t’ai reconnu ! dans les valeurs de la gauche et de la République ! viens là qu’euj te bige !....... Oh ?! s’cusez-moi, j’ai dû m’tromper.....un instant, j’ai cru.... mais non, ce n’était pas vous.....Oh, mpffff ! mais il est complètement nase ce jeu à un euro ! y’a personne que je reconnais ! Pourtant, énoncé comme c’est, ça avait l’air facile,... Bon, j’insiste.... Alors, lui, voyons... non, je l’ai jamais connu, elle non plus, lui non plus, elle non plus...Lui, comme ça, de loin, il me dit quelque chose, mais c’est juste une ressemblance.... Aaaaah ! enfin ! lui, oui, lui, je le reconnais !!! eh ! vous là bas !!! permettez que je vous recon... Oh ! le con !! c’est un masque en valeur de la gauche et de la République ! Bon, ceci dit, personne ne me reconnaît non plus. En fait, personne ne se connaîtrait-il dans les valeurs de la gauche et de la République. Y’a du monde, ça y’a du monde, faut reconnaïtre. "
Primaires à gauche : progrès ou recul de la démocratie ?
- Mister K
- 12 septembre 2011 à 13:05
Il s’agit d’être sérieux : le système est ce qu’il est et ne changera pas, mettez vous bien ça dans la tête ; il s’agit de gérer, en malmenant le moins possible « les valeurs de gauche »
Vu de l’extérieur, cela semble être effectivement majoritairement le positionnement du PS. Aubry et Hollande entrent tout à fait dans ce schéma. Royal aussi d’ailleurs, avec quelques spécificitudes. Pour Valls, c’est déjà différent : il essaie de faire d’un programme de droite un programme de gauche...sans prendre de gants.
Par contre, la candidature de Montebourg ne me parait pas être du tout dans ce schéma. Dans son livre des idées et des rêves il propose des solutions de transformations de la société pas des adaptations. Le discours est offensif. De gauche. Bon, Montebourg reste tout de même socialiste et veut se distinguer "du gauchiste" Mélenchon. Mais vu d’avion, les deux semblent compatibles. Clairement, Montebourg a un vrai programme de gauche, beaucoup moins tiède que celui officiel du PS. Pourtant, Montebourg ne semble jamais avoir été soutenu au PS...alors qu’il a souvent eu raison tout seul (affaire Chirac par exemple ou plus récemment l’affaire Guérini). Pourquoi ? Difficile à dire. Certes, après son soutient à Royal en 2002 et au congrés du PS, on peut comprendre que son image soit brouillée. Peut-être son image de grand bourgeois donneur de leçon ne l’aide pas. En tout cas, c’est le seul qui a un vrai discours politique de gauche dans cette primaire, pour le peu que j’en ai suivi. Après, il y a certainement beaucoup de choses discutables dans son "programme"...
Au niveau local, alors que le département du Cher est plutôt plus à gauche que la moyenne, les deux favoris Aubry et Hollande ont la cote semble-t-il... On pourrait être surpris du choix de Galut de soutenir Hollande alors qu’il a soutenu Royal en 2002...et que ces idées semblaient, par le passé, beaucoup moins neutre que les idées de Hollande. Galut aurait pu nous surprendre en soutenant Montebourg plus proche des idées d’ATTAC que les autres candidats. Pour Irène Félix, pas de surprise : Fabius soutenant Aubry (dans la continuité du dernier congrès du PS), elle soutient Aubry. Bon, dans tous ça, l’écart entre Aubry et Hollande étant une affaire de spécialistes, c’est vrai que l’on est plus proche de la PS Academy que de la véritable politique.
C’est vrai que Hollande, suite à son régime, est plus sexy. Et il est plutôt drôle. Citoyen qui rit...
Primaires à gauche : progrès ou recul de la démocratie ?
- bombix
- 14 septembre 2011 à 08:18
Galut aurait pu nous surprendre en soutenant Montebourg plus proche des idées d’ATTAC que les autres candidats.
Tu veux dire que Galut aurait pu nous surprendre en défendant un candidat proche des idées qu’il affiche ? On peut rappeler en effet que même si dans son magnum opus, Demain sera un autre jour (en vente dans toutes les bonnes librairies), il se fait des gorges chaudes de sa participation à Attac (renseignements pris toutefois, il n’a jamais appartenu au comité local du Cher) et défend les slogans de l’organisation altermondialiste, paradoxalement, il se rapproche aujourd’hui d’un candidat, François Hollande, qui n’a pas du tout ce profil. Ce qui le conduit à prendre des positions sur le problème de l’éducation qu’il ne songeait pas à aborder dans son bouquin, où pourtant il décrivait son parcours, ses visées politiques et ses priorités.
Bah, ce paradoxe s’explique simplement par le fait que si la politique est une affaire d’idées, elle est surtout une affaire de conquête du pouvoir. C’est mou, c’est lâche, ça bouge, ça change, ça se retourne les idées. La question qui se pose à propos de tous ces gens est : veulent-ils le pouvoir pour faire appliquer leurs idées, ou se servent-ils des idées (un jour à gauche, un jour à droite, selon le sens du vent) pour gagner le pouvoir ? Cela vaut pour Montebourg comme pour Yann Galut. Le risque, quand même, à ce petit jeu, c’est de perdre en crédibilité. Mais dans une démocratie d’opinion bien digne de notre société du spectacle, que consacre le PS avec l’organisation de ces primaires, la crédibilité compte moins qu’une propagande bien faite.
D’ailleurs, quel type honnête et intègre a jamais fait une carrière en politique ?