Y’a 100 ans, socialos et retraites
Vers les années 1900, lorsque la question des retraites se posa (avec grand retard) en France, le mouvement socialiste refusait la retraite par capitalisation, mais aussi... la retraite par répartition (!) puisque ça revenait à prendre encore une fois dans la poche des salariés au lieu de prendre sur les profits générés par le travail de ces salariés. En me promenant sur un site offrant en ligne des textes de cette période j’ai trouvé 3 textes permettant d’avoir une idée des programmes socialistes sur les retraites autour des années 1900.
Programme du Parti Ouvrier Français, article 5 (1894)
Le Parti Ouvrier Français est fondé en 1882 par Jules Guesde et Paul Lafargue. Ce parti fusionnera avec d’autres groupes (dont le Parti Socialiste Français de Jean Jaurès) pour aboutir en 1905 à la création de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière). On trouve dans le programme du Parti Ouvrier Français, rédigé en 1894, un article consacré aux retraites agricoles (assorti d’un commentaire) :
« [Le gouvernement] veut que ce soit les ouvriers des villes et des campagnes qui fournissent en grande partie les fonds de cette caisse. [...]
Le Parti ouvrier n’entend pas ainsi la caisse de retraites : au lieu de demander aux pauvres de la remplir avec leurs sous, il veut que l’État la remplisse immédiatement avec les pièces de cinq francs des grands propriétaires, sur lesquels on mettrait un impôt spécial. [...] Il est de toute justice que lorsqu’ils [les salariés]sont vieux et perclus de douleurs, ils soient secourus par ceux qu’ils ont enrichis. »
Intervention de Paul Lafargue (congrès de la SFIO, 1910)
Le gouvernement va proposer à la chambre des députés le vote d’une loi sur la retraite par répartition. Avant cette session, la SFIO débat de la position à adopter. Paul Lafargue argumente contre les tenants de la retraite par capitalisation (dont Jean Jaurès) mais aussi contre le projet de loi :
« La capitalisation [...] : Elle intéresse surtout les Millerand et les autres brasseurs d’affaires du Parlement, rêvant de mettre la main sur les 200 millions qui tomberont tous les ans dans la caisse pour entreprendre des travaux publics et lancer des Panamas. [...]
Le mot "retraite" qu’on accole à la loi n’est pas le mot propre. Retraite veut dire pension donnée à quelqu’un pour reconnaître des services rendus, sans lui demander de contribuer pour un sou à cette pension. La loi devrait être nommée loi des rentes viagères des salariés ; parce qu’une rente viagère est constituée par des prélèvements faits pendant des années sur le revenu ou le salaire de celui qui le reçoit et c’est ce que se propose de faire la loi dites des retraites ouvrières. [...]
Ma conclusion, la voici : le Parti socialiste doit voter contre la loi et déposer immédiatement un projet de loi contre le chômage, la maladie, l’invalidité et la vieillesse et organiser avec la CGT, avec Hervé, avec n’importe qui, une vaste agitation dans tout le pays. [...] S’ils ne marchent pas, tant pis. Nous sommes assez nombreux pour la besogne. Je suis vieux, mais je m’y mettrai avec courage. Je termine donc en vous disant : Votez contre la loi ! »
Discours de Jules Guesde, Chambre des députés (mars 1910)
« [...] Certains ont dénoncé l’âge de la retraite : soixante-cinq ans. C’est à peu près, en effet, la retraite pour les morts, au moins dans certaines industries, dont aucun ouvrier n’arrive à une pareille vieillesse. [...]
Certains ont signalé le danger – nié, il est vrai, par d’autres – de la capitalisation ; ils ont vu – et j’en suis – dans les millions prélevés sur la classe ouvrière et additionnés à ceux de la classe patronale, que l’on devra faire fructifier, auxquels il faudra faire rapporter les intérêts, ils ont vu là un péril sérieux, étant donné la société dans laquelle nous vivons, et où les Panamas ne sont pas l’exception, mais la règle de l’état de santé d’un régime basé sur le profit. [...]
Après l’employeur qui prélève sur le produit du travail ouvrier le plus qu’il peut, un maximum de bénéfices, de dividendes et de profits, vous voudriez, vous, pouvoirs publics, vous, élus du suffrage universel, ajouter une nouvelle prise à la prise déjà opérée : c’est ce qui me paraît impossible, et si j’osais aller jusqu’au bout de ma pensée, je vous dirais : Vous ne pouvez pas doubler le vol patronal d’un vol législatif. [...]
En 1894 j’ai déposé une proposition de loi dont le premier article était ainsi conçu : "Toute retenue sur les salaires en vue des caisses de secours ou de retraite est interdite." Cette affirmation, je n’ai cessé de la répéter. [...] Et j’ajoutais : "C’est à l’employeur, à celui qui profite du travail qu’incombe l’obligation de prévoir les mauvais et les vieux jours des travailleurs et d’y pourvoir. De pareilles dépenses rentrent, sans conteste, comme la réparation et le renouvellement de l’outillage, dans les frais généraux de l’entreprise." [...]
La dignité du prolétariat consisterait donc à se laisser dépouiller et dévaliser. Alors que ce qui est vrai, c’est que tout ce que vous pouvez lui attribuer n’est et ne peut être qu’une restitution, c’est un acompte sur le TOUT qui lui est dû et qu’il aura à reprendre lorsqu’il sera suffisamment organisé et fort. »
Texte intégral :
Programme Agricole du Parti Ouvrier Français, 1894
Intervention contre la loi des retraites, Paul Lafargue
Les retraites à la Chambre, Jules Guesde, 1910