CULTURE EN QUESTIONS

"Il faut mettre ces problèmes sur la table sinon ils s’inviteront d’eux-mêmes au banquet…"

Interview de Pierric Guittaut (seconde partie)
mardi 19 octobre 2010 à 17:06, par Mercure Galant
"Il faut mettre ces problèmes sur la table sinon ils s'inviteront (...)

L’Agitateur : Avez-vous un engagement ou des convictions politiques ?

Pierric Guittaut : (rires) Le roman noir a une fonction c’est celle d’être un témoin. On ne peut pas empêcher un être humain d’avoir des convictions ou des penchants mais je vous réponds non. Déjà quand j’étais dans le milieu associatif je regrettais justement la trop grande imprégnation politique de ceux qui utilisaient clairement ce milieu comme un tremplin vers un poste à la Mairie ou autre.

L’Agitateur : Un peu comme votre personnage Yacine El Attalati, directeur du service jeunesse, par exemple ?

Pierric Guittaut : Oui… Lui a grandi dans les quartiers. Il a déjà bénéficié de la discrimination positive avant l’heure et il sait faire jouer ses relations et ses intérêts. Mais dans mon livre il n’y a pas une critique du milieu associatif en temps que tel. Je voulais écrire un roman noir où il y aurait peu de personnages positifs. Je ne souhaitais pas, comme beaucoup d’auteurs l’ont fait à tort, opposer deux camps celui des gentils et celui des méchants. On peut trouver des salauds ordinaires dans tous les camps.

L’Agitateur : L’autre flic du roman, Antoine Carpentel, a lui aussi un intérêt, c’est la réélection du maire en place…

Pierric Guittaut : Il se rend compte qu’il a effectivement placé toutes ses billes dans le même panier. Mais, comme Djeddoun, il débarque d’une cambrousse lointaine et l’on sent qu’il a mal vécu d’avoir des origines très rurales. Il est donc près à tout pour prendre l’ascenseur social… Mais finalement ce n’est pas un homme de réseau et surtout c’est un psychopathe ! C’est d’ailleurs le personnage qui me paraissait le moins crédible. Heureusement qu’on ne croise pas des types comme ça tous les jours (rires).

L’Agitateur : Et la journaliste Gaëlle Le Floc’h ?

Pierric Guittaut : Elle est sympathique au premier abord. Elle a une certaine idée du journalisme. Mais on s’aperçoit que c’est une ambitieuse et qu’elle éprouve assez peu de considération pour les gens qui travaillent avec elle. Elle est jeune et jolie. Elle n’est pas dupe et compte bien en profiter. Elle n’a pas l’intention de finir ses jours dans cette ville. Elle a des ambitions plus élevées. Décidément il n’y a pas de chevaliers blancs dans Beyrouth-sur-Loire ! Pour moi il n’y en a pas dans la vie non plus. On est tous plus ou moins des pourris malheureusement (rires). Chacun fait des compromissions. On se dit pourquoi j’ai accepté ça ? Pourquoi je me suis laissé faire ? Pourquoi j’ai laissé dire ça ? Parfois on est contre et on n’ose pas le dire. Dans le livre tout est exacerbé. Tout est à la puissance dix. Tous les défauts sont énormes. La tension également. Cette ville est presque à l’agonie. Dans la réalité on n’en est pas encore là évidemment mais toutes les petites compromissions et toutes les petites lâchetés du quotidien se retrouvent dans les personnages. Oui le plus intègre est peut-être Michel Djeddoun. Un très bon flic sans doute mais au niveau humain…on n’a pas très envie d’être ami avec lui. (rires)

L’Agitateur : Vous nous présentez en effet des policiers pas très reluisants.

Pierric Guittaut : D’ailleurs on sent leur supérieur hiérarchique qui perd pied et qui se questionne sur cette nouvelle génération de policiers. Fatigué d’avoir eu à lutter contre les politiques toute sa vie, il baisse les bras en fin de compte, comme d’autres dans le livre. Finalement C’est peut-être un roman sur l’abandon ...

L’Agitateur : Vous avez décidé de poursuivre votre expérience dans le roman noir ?

Pierric Guittaut : Oui, le projet est bien avancé ce sera une suite dans laquelle on retrouvera certains personnages et ça se passera dix ans après... Avec cette échelle de temps assez importante ce ne sera pas la suite à laquelle les lecteurs s’attendent.

L’Agitateur : C’est vrai que la fin de l’histoire est assez frustrante…

Pierric Guittaut : C’était un des éléments de mon cahier des charges. Je voulais une fin noire. Pourquoi autant de pessimisme ? Parce qu’à mon sens dans la vie, les méchants gagnent plus souvent que les gentils. Dans ce roman les méchants ont remporté la première manche, c’est en quelque sorte un bilan des années 2000. Je me suis dit que le roman pourrait être lu dans cent ans. On pourra regarder les documentaires officiels, le best off des années 2000 à la télé mais aussi lire Beyrouth-sur-Loire (rires). La suite sera plutôt un roman noir d’anticipation. Dix ans, ce n’est pas un futur lointain. Ce n’est pas de la science-fiction mais ce sera forcément beaucoup moins réaliste. Celui -ci sera un roman d’anticipation sociale et il y aura moins de prégnance des rapports politiques. Ce sera plutôt un western de genre crépusculaire.

L’Agitateur : Combien de temps consacrez-vous à l’écriture ?

Pierric Guittaut : Si je peux y consacrer 6 heures par semaine c’est déjà bien. Ce n’est pas assez malheureusement.

L’Agitateur : Est-ce que l’inspiration vous vient facilement ?

Pierric Guittaut : Il faut que j’écrive régulièrement, si une coupure survient, j’ai beaucoup de mal à m’y remettre. Par contre, dès que l’intrigue et les personnages sont là, il restent constamment dans ma tête.J’ai alors hâte de coucher mes idées sur le papier .

L’Agitateur : Avez-vous une trame précise de l’histoire avant d’écrire ?

Pierric Guittaut  : Non, je prends des notes sur mes idées, quatre ou cinq lignes qui font en général un chapitre. J’ai la trame des deux ou trois prochains chapitres. Actuellement j’en suis à la moitié du manuscrit du prochain roman et je ne peux pas vous dire ce qui se passera au delà des cinq prochains chapitres…

L’Agitateur : Vous avez quand même votre conclusion ?

Pierric Guittaut : Non ! (rires) Certains personnages évoluent au cours de la narration. Parfois je n’utilise pas mes notes car je trouve que ce n’est plus pertinent et d’autres idées se greffent. Il faut toujours laisser aux personnages une chance de vivre.

L’Agitateur : Quelle échéance vous fixez vous pour le terminer ?

Pierric Guittaut : Il sera fini cet hiver et j’aimerais bien qu’il puisse paraître pour l’été prochain. C’est bien de publier un roman par an, au moins les premières années quand on écrit. D’autant qu’ici il y a une thématique sur ces deux romans. Les gens pourront lire les deux à la suite. Je n’ai pas forcément la vocation d’écrire du roman noir tout le temps. J’aimerais m’intéresser à d’autres genres de littérature populaire comme la science fiction ou le roman historique… Le roman noir historique offre des possibilités intéressantes. On verra.

L’Agitateur : Autre chose à ajouter ?

Pierric Guittaut : Je rappelle qu’il s’agit surtout là d’une lecture de divertissement pouvant éventuellement avoir une dimension sociale nous amenant à réfléchir... mais ça reste avant tout un polar. C’est fait pour passer un moment de lecture agréable. Je milite pour le développement du roman noir en France. J’aimerais qu’il y ait plus de jeunes qui s’y mettent. Aujourd’hui l’âge moyen des auteurs est de cinquante ou soixante ans. On a un peu pâti de la concurrence sauvage du Thriller qui a phagocyté le roman policier. Les gens ont alors complètement oublié le roman noir où l’on peut développer des personnages vraiment intéressants et parler de choses importantes. Donc je lance un appel au jeunes afin qu’ils viennent découvrir le roman noir et puissent écrire. C’est un genre qui ne mourra pas. Il s’est déjà beaucoup renouvelé depuis près d’un siècle qu’il existe. Quand le roman noir américain est apparu dans les années trente, il faisait suite aux romans à énigmes anglais (Agatha Christie, etc…). Maintenant on se retrouve également dans une période un peu similaire. Le Da Vinci Code est un Thriller qui représente l’exemple même du roman à énigmes. Les gens se lasseront peut-être du roman à énigmes avec toujours le même serial killer... La crise aidant, la question sociale rejaillira et poussera peut-être à un retour du roman noir.

L’Agitateur : Thierry Jonquet était-il représentatif du bon roman noir selon vous ?

Pierric Guittaut : Oui bien sûr ! Thierry Jonquet est l’une des grandes figures du roman noir des vingt dernières années. Il est d’ailleurs l’un des rares à avoir écrit sur le problème des banlieues dans les années 2000 avec son ouvrage « Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ». Il évoquait notamment l’antisémitisme qui se développait dans les banlieues et s’était fait taper sur les doigts car certaines critiques l’avaient traité de réactionnaire. Pourtant, il faut parler de ces choses là aussi. Si ça ouvre un débat eh bien tant mieux ! Il faut mettre ces problèmes sur la table sinon ils s’inviteront d’eux-mêmes au banquet…

L’Agitateur : Avez-vous d’autres auteurs français de référence ?

Pierric Guittaut : En France il y a quelques auteurs intéressants comme DOA ou Antoine Chainas qui ne sont pas mes préférés. Ils ont tout juste la quarantaine et ont un peu renouvelé le genre dans les années 2000. Le dernier à avoir vraiment dépoussiéré le roman noir est Maurice G. Dantec avec "La sirène rouge" et "Les racines du mal". Ensuite il est parti un « trip physico-mystique-science-fiction » qu’on a un peu du mal à suivre. « La sirène rouge » c’est purement du roman noir : un road polar. Dans Les racines du « mal », les trois cents premières pages sont vraiment très intéressantes, ensuite… Le problème de Dantec c’est qu’il écrit des pavés de 900 pages. Il aurait pu faire l’économie d’au moins 300 pages ! (rires) Actuellement, il revient en signant chez Rivages qui est la collection de romans noirs emblématique. [1]
Enfin, tous auteurs confondus, la référence incontournable dans le roman noir mondial est James Ellroy. Voici quelques temps, il y a eu la grosse vogue du polar scandinave, on a eu droit à une quantité d’auteurs avec des noms en « sson » (rires). Dans vingt ans avec le recul, on saura quels étaient ceux qui étaient vraiment intéressants car je pense qu’il y en a. Aujourd’hui au niveau éditorial, la série noire végète un peu après avoir connu un passage difficile. Il y a eu un changement éditorial assez important au cours des années 2000. On hésite entre nouveaux auteurs et classiques. On s’appuie sur les valeurs sûres étrangères avec leurs traductions. Tout cela n’a pas le lustre qu’avait la série noire dans les années 50. Chez Rivages ce sont des valeurs sûres, mais il y a très peu de francophones. Dominique Manotti avec « Bien connu des services de police » sorti en début d’année, évoque également la banlieue vue du côté des flics... Mais Dominique Manotti a un âge respectable. Il manque à mon sens un peu de sang neuf. Même moi à 36 ans je me dis que je suis déjà presque trop vieux. Il faudrait des auteurs plus jeunes. J’encourage les jeunes à écrire car il auraient sans doute une vision de la société que nous n’avons pas, qu’on ne peut pas avoir. Mes vingt ans sont déjà loin (rires) je ne pourrais plus me remettre dans la situation d’un jeune qui découvre la société qu’on lui propose. Quels sont les éléments qui les choquent ou qui les révoltent ? Nous sommes peut-être déjà des « vieux cons » avec nos problématiques de communautarisme alors que cela ne fait probablement pas partie de leur préoccupation.

L’Agitateur : Votre propre roman est paru début juillet. Comment cette sortie a-t-elle été perçue ? Quels retours en avez-vous ?

Pierric Guittaut : J’ai surtout eu des retours par des gens que je connaissais et quelques articles dans la presse...

 [2]

L’Agitateur : Avez-vous pu discuter du roman avec des lecteurs ?

Pierric Guittaut : Ce qui me manque surtout c’est l’avis de spécialistes du roman noir car je débute… J’ai essayé d’intégrer une partie des remarques qu’on m’a faites pour le prochain… mais ce ne sera pas un livre à la carte.

[1Concernant l’arrivée de Maurice G. Dantec chez Rivages, on peut lire quelques articles ici ou encore

[2- Un article dans le Berry républicain au mois de juillet.
- Un article plutôt élogieux dans l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol au début du mois de septembre
- Un passage sur France Bleu, début septembre,
pour un entretien téléphonique avec Thierry Chareyre.


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