Tribunal des flagrants délires ou des délires flagrants ?
Vendredi 17 Septembre 2010, 13h30. Une petite cinquantaine de personnes se masse devant le tribunal de grande instance de Bourges. Bien sûr, le noyau dur du Berry Ripou est là, autour de Jean-Michel Pinon son directeur de publication. Un stand Berry Ripou a été monté. On peut y acheter les deux premiers numéros du journal. À votre arrivée, on vous propose un autocollant sur lequel est dessiné une brouette barrée. Humour Ripou. Ils n’ont malheureusement pas pensé à diffuser le titre "Brouette nentale" des Tétines noires.
Tout cela pour rappeler que si l’on se masse devant le TGI de Bourges, c’est pour soutenir le directeur de publication du Berry Ripou face à la plainte de Matthieu Bourrette pour « injure publique envers un fonctionnaire public ». Le calme apparent de Jean-Michel Pinon tranche avec l’excitation évidente de Laurent Quillerié, président de l’association qui édite le Berry Ripou. La presse locale est là. Des journalistes se sont même déplacés spécialement à Bourges pour l’occasion. C’est le cas de Mourad Guichard de Libé Orléans. Il y a des appareils photo et des caméras dans tous les sens. Emmanuel Terray s’est également déplacé pour soutenir le Berry Ripou. L’atmosphère est détendue.
Vendredi 17 Septembre 2010, 13h45. Jean-Michel Pinon, Laurent Quillerié, l’avocat Yann Galut et le noyau dur du Berry Ripou montent les marches du Tribunal de grande instance pour un discours. Laurent Quillerié fait son show. Très à l’aise, celui qui est aussi militant socialiste rappelle les grands traits de l’affaire et notamment son point de départ, l’ignoble expulsion d’une famille russe en février 2010 et la caricature du Berry Ripou qui s’en suit. Le procès offre une tribune politique idéale. Yann Galut, un autre socialiste, fait son boulot d’avocat. Il rappelle aux soutiens que la salle d’audience n’est pas un lieu de manifestation et que, quelle que soit l’issue, les manifestations ne peuvent avoir lieu qu’en dehors. Il faut dire que la présidente du tribunal, Madame Barruco, ne tient pas à ce que son tribunal serve de salle de meeting politique et l’a préalablement fait savoir à Yann Galut. De là à en déduire qu’elle ne tient pas à ce qu’il y ait de débat sur le fond, il n’y a qu’un pas. La foule a grossi. Les deux hommes sont applaudis par une petite centaine de soutiens [1] venus d’un peu tous les horizons de la gauche militante et associative. Jean-Michel Pinon ne prend pas la parole. Son truc à lui, ce n’est pas le théâtre ou le jeu d’acteur, c’est l’écriture. Question de style.
Un contexte lourd
Vendredi 17 Septembre 2010, 14h00. Tribunal de grande instance de Bourges en France. Nous sommes rentrés depuis mai dernier dans l’an 4 du régime Sarkoziste. Un régime fortement influencé par le 21 avril 2002, un régime qui a compris les aspirations fortes du peuple et ses plus bas instincts, les a entretenues, les a encouragées. À sa tête, Nicolas Sarkozy qui avant mai 2007 n’avait d’autre but réel que la conquête du pouvoir. Depuis mai 2007, son seul objectif, c’est de conserver le pouvoir. Pour conquérir le pouvoir, tout était bon. Pour le conserver, tout sera bon. En théorie, nous sommes toujours en démocratie. Mais depuis 2002 puis 2007, de glissements sémantiques en glissements réels, tout français qui suit l’actualité politique et sociale de son pays ne peux qu’avoir des sensations étranges. Y compris les plus fidèles du chef suprême, Nicolas Sarkozy. Une France rance que l’on connaît depuis 2002 mais qui, en 2010, se matérialise peu à peu, s’ancre un peu plus dans nos réalités quotidiennes. C’est dans ce contexte que va s’ouvrir le procès d’un journal satirique berruyer, Le Berry Ripou. Le Berry Ripou c’est, selon ses animateurs, un tirage de 3000 exemplaires papier et environ 300 visiteurs du site internet par jour. Le Berry Ripou, c’est une toute petite épine dans le pied de géant du régime Sarkoziste. Mais c’est déjà trop. 2012 approche, faut-il faire un exemple ?
En théorie, l’affaire est pliée
Quand on rentre dans la salle d’audience, on est déjà à peu près sûr du résultat [2]. Les conclusions de l’avocat du Berry Ripou, Yann Galut sont connues : la plainte pour injure ne tient pas la route. Elle ne fait pas appel aux bons articles de loi. C’est très technique, mais c’est comme ça. Et puis, une injure est gratuite. La caricature contre laquelle Mathieu Bourrette, ex-secrétaire général de la préfecture du Cher, a déposé plainte pour injure est - quant à elle - plutôt réfléchie et travaillée : elle dénonce un fait précis, une expulsion d’un famille russe à 5h30 du matin d’un foyer de Bourges avec embarquement pour Moscou à 12h30 de Roissy. La routine depuis 2002 et encore plus 2007. Sauf que tout le monde ne s’habitue pas. Et certains, dont le Berry Ripou, protestent. Le Berry Ripou le fait à sa façon par un détournement de l’affiche du film "La Rafle". Le visage de Matthieu Bourrette a remplacé celui d’un policier qui, sur l’affiche originale, tient par la main deux enfants juifs. Sur l’affiche détournée, plus d’étoiles jaunes, plus de symboles nazis, juste un drapeau russe pour bien contextualiser. Pourquoi Matthieu Bourrette est-il visé plus qu’un autre ? Certainement parce que dans le milieu associatif et militant berruyer, il se dit qu’il est le fonctionnaire zélé du régime Sarkoziste. Depuis, Matthieu Bourrette a été remercié comme il se doit pour bons et loyaux services : le 9 juillet 2010, il a été nommé « Substitut du procureur général près la cour d’appel de Grenoble, pour exercer les fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Vienne ». S’en est suivi le discours de Grenoble le 30 juillet 2010, haut fait de guerre de Nicolas Sarkozy qui, ce jour là, n’hésite pas à implicitement lier immigration et insécurité. Face à l’indignation générale, les démentis n’y feront rien : le malaise devient de plus en plus grand en France.
Injure ou liberté d’expression et liberté de la presse ?
Au moment où l’on rentre dans la salle d’audience, on se dit que si les plans de maître Galut ne sont pas contrariés, on sera peut-être déçus. En effet, de toute évidence, le procès du Berry Ripou est bien une affaire de caricature, de liberté d’expression et de liberté de la presse. Et puis aussi, de rapport à l’histoire. A-t-on le droit dans une caricature, de faire des analogies entre des faits contemporains et des faits sombres de l’histoire de France ? A priori, on devrait avoir le droit. Est-ce que c’est justifié, c’est un autre débat. En tout cas, de nombreuses personnalités n’ont pas manqué de faire ce type d’analogie et de façon très sérieuse pour le coup, une bonne partie de l’été, concernant notamment l’expulsion organisée et planifiée des Roms. En y réfléchissant bien, on se dit que si l’argument de procédure n’est pas retenu pour relaxer Le Berry Ripou et son directeur de publication, Jean-Michel Pinon [3], le débat de fond devrait mettre facilement en évidence l’absurdité d’un tel procès dans une véritable démocratie. Nous sommes au tribunal des flagrants délires. Par forcément ceux du Ripou, mais peut-être bien aussi des délires flagrants du régime Sarkoziste.
Le juge tout puissant
Seulement voilà, seul le juge est tout puissant [4]. Dans le contexte, peut-il être tout à fait indépendant ? La plainte du fonctionnaire Bourrette est en effet appuyée par Brice Hortefeux ministre de l’intérieur et le procureur de la République. Le Ripou doit-il trembler devant la justice ou peut-il avoir confiance ? On ne doit pas douter de la justice en démocratie.
Le Ripou n’est pas seul
Et bien sûr le Berry Ripou n’est pas seul. Il a de nombreux soutiens locaux et même nationaux. Et contrairement aux propos de Laurent Quillerié, président de l’association qui édite le Berry Ripou, propos tenus dans CQFD, le Berry Ripou n’est pas le seul à Bourges à faire entendre une voix discordante. La résistance à Bourges face au régime Sarkoziste n’a pas attendu le Berry Ripou : de nombreux militants avec leurs petits moyens luttent de longue date contre la politique des expulsions du régime Sarkoziste. L’Agitateur dans un style très différent du Ripou tente sans relâche depuis 1997, de diffuser une information plus critique face aux discours convenus de droite et de gauche et n’épargne pas, bien sûr, le régime Sarkoziste. Dans ces conditions, quel est l’intérêt pour le régime de se payer la peau des Ripoux ? On ne voit pas bien. Susciter la peur, peut-être ?
Pas de débat
Depuis 14h00 diverses affaires sont traitées au TGI de Bourges dont une affaire d’usage et trafic de stupéfiants où l’un des prévenus multi-récidiviste joue plusieurs années de sa vie. La plupart des soutiens du Berry Ripou ont quitté la salle. C’est à 16h45 que l’affaire du Berry Ripou est traitée par le tribunal. La salle d’audience est pleine. Des photographes se font réprimander lors de la suspension de séance par le procureur puis à son retour par la présidente du tribunal : on ne photographie pas dans une salle de tribunal sans autorisation du juge. Madame Barruco appelle Jean-Michel Pinon à la barre. Elle connaît les conclusions de Yann Galut et lui donne d’emblée la parole. L’avocat berruyer plaide la nullité de la procédure en moins de 5 minutes. Le procureur de la république acquiesce à la plaidoirie de Yann Galut et propose au juge de prononcer la nullité. L’avocat de Matthieu Bourrette arrivé en retard reconnaît volontiers que l’affaire est pliée. Il fait juste remarquer qu’il n’est pas responsable du dépôt de plainte et demande au juge de ne pas attribuer au Berry Ripou les 2500 euros demandés par Yann Galut. A 16h55, la présidente du tribunal annonce que l’affaire sera mise en délibéré lors de la suspension de séance. Il n’y a aucun suspens à part l’histoire des 2500 euros demandés sans conviction par Yann Galut, avocat de Jean-Michel Pinon. La suspension de séance a lieu à 17h30 environ. Une longue attente commence. Dans la salle ça twitte, Yann Galut le premier. Ce dernier rappelle une nouvelle fois aux soutiens du Berry Ripou que quelle que soit l’issue, aucune manifestation ne doit avoir lieu dans la salle d’audience. Il essaie de créer du suspens en rappelant que si la nullité n’est pas prononcée, on rentre dans le débat de fond. Pourtant, il n’y a vraiment aucun suspens.
Le verdict, les conclusions
A 18h24, la présidente du tribunal prononce la nullité dans l’affaire du Berry Ripou qui est toutefois débouté sur la demande des 2500 euros. Tout le monde sort tranquillement. Jean-Michel Pinon est relaxé. Il est souriant mais toujours aussi calme. Comme avant le début de l’audience, Yann Galut fait un petit discours qui rappelle que toute victoire juridique est bonne à prendre, même s’il s’agit d’une victoire liée à un problème de procédure. Il a beau jeu d’annoncer une victoire sur Brice Hortefeux afin de satisfaire la foule présente qui n’est toutefois pas dupe. Laurent Quillerié prend la parole et rappelle que le Berry Ripou était prêt à débattre sur le fond. Les appareils photos chauffent, on applaudit. Tout le monde est content. Le délire est terminé. Le mini-show mêlant justice, politique et médias est lui aussi terminé. Au final, tout cela est une bonne publicité pour le Berry Ripou et pour Yann Galut. La mise en scène est parfaite. Mais au fond rien ne change : le régime Sarkoziste continue sa routine.
[1] Nous n’avons pas les chiffres des ex-RG mais il devait y avoir 70 à 80 personnes devant les marches du palais de justice et une bonne cinquantaine de personnes qui ont assisté à l’audience.
[2] Contrairement à ce qu’affirme Le Berry Républicain la plaidoirie de Yann Galut n’est pas une surprise. L’avocat berruyer avait largement diffusé ses conclusions plusieurs jours avant l’audience...
[3] A toute fins utiles, l’auteur de cet article est le frère de Jean-Michel Pinon et co-fondateur avec lui de l’Agitateur
[4] En réalité, ils sont trois et délibèrent