Tant qu’il y aura cette île
Je signe mon dernier édito. Je quitte l’administration de l’Agitateur.
L’aventure continue, Cyrano et Bernard Javerliat prennent le relais.
Quel bilan tirer de quatre années passées à travailler à ce site ? Des dizaines d’articles, de brèves publiés. Des centaines d’interventions dans les forums. L’Agitateur, c’est d’abord ça : beaucoup de temps et d’énergie consacrés à produire, corriger, débattre. Avec quelle finalité ? Pour ce qui me concerne, c’est l’aventure humaine qui fut avant tout intéressante ; j’en garderai le souvenir. Je voudrais ici témoigner de mon amitié et dire ma reconnaissance à Mister K qui est, au fond, le pilier de l’Agitateur. Pas seulement parce qu’il en est l’un des fondateurs historiques et le maître d’œuvre technique, mais parce qu’il incarne l’esprit qui porte ce site. Parler et faire parler tous et chacun, loin des faux-semblants, de la langue de bois. Défendre la liberté d’expression, mais en maintenant une forme de rigueur et d’exigence. La voie est difficile, la porte étroite. J’ai souvent admiré son calme et sa volonté d’expliquer, même aux gens de très mauvaise foi – et il y en a ! – et surtout sa conviction jamais ébranlée que ça vaut le coup, que cet espace qui n’est ni parfait ni idéal doit être défendu.
Défendu ? Contre qui ? On ne va pas revenir en détail sur les querelles qui nous ont opposé à tel ou tel. Disons pour faire court qu’internet est devenu depuis quelques années l’enjeu d’une lutte. Il y va du contrôle de l’opinion, vital pour les politiques. Nous avons été attaqués à droite, et à gauche. Avec toujours les mêmes intentions finalement : contrôler ou manipuler autant que faire ce peu ce drôle de média qui excite la curiosité, suscite des fantasmes, provoque le mépris, mais ne laisse personne indifférent du côté de ceux qui lorgnent vers le pouvoir.
Internet est grand me direz-vous. Internet est immense, en effet. Comme une mer. Sur cette mer, il y a des îles. L’Agitateur est l’une de ses îles. On y croise du monde parce qu’il s’y passe quelque chose. On y trouve des milliers d’articles, des dizaines de milliers d’interventions. Sa fréquentation peut être comparée, sans qu’il en ait à rougir, à bien des sites institutionnels très coûteux. Ce n’est pas qu’il ne coûte rien. Il nous en coûte de le produire. Mais ce que cela nous coûte ne se mesure pas en argent, et ne se négocie pas non plus contre des petits pouvoirs marchandés. Ce seul constat plonge dans l’embarras tout ceux – nos « amis » qui nous veulent tant de bien — qui n’imaginent pas qu’on puisse se donner de la peine ici-bas sans en tirer un avantage tangible. « Les croquants, ça tombe des nues », chantait l’ami Georges.
Nos « amis » ont bien-sûr leurs sites ou leurs blogs. Mais il ne s’y passe pas grand-chose. Alors ils reviennent toujours, et quand cela ne se passe pas comme ils veulent, ils crient à la censure. Ou ils nous soupçonnent des pires arrière-pensées, des manœuvres les plus tordues. A l’évidence, « on » leur en veut ! « On » travaille contre eux.
« On » ne travaille contre personne. Mais « on » ne travaille pour personne non plus. Cela nos « amis » peinent à le comprendre. Ils ne nous croient pas. Qu’ils croient ce qu’ils veulent. C’est leur problème, pas le nôtre.
Les modes succèdent aux modes. Internet n’y échappe pas. On assiste aujourd’hui à l’explosion des réseaux dits sociaux. J’ai eu l’occasion de dire mes doutes concernant twitter. J’ai une aversion réelle pour facebook et ses « milliers d’amis » et qui ne laisse guère le choix dans la critique entre « aimer » et « ne pas aimer ». J’ai le souci de ne pas confondre le véhicule et le passager. Le contenant, et le contenu. Le fait de communiquer, et ce qu’on dit effectivement.
Pour ma part, je m’intéresse à ce qui se dit, et j’ai l’idée qu’on ne peut pas dire quelque chose d’intéressant, sans une exigence qualitative minimum. Ce qui ne va pas sans effort. Effort de s’informer, effort de réfléchir, effort de mettre en forme ce qu’on sait, ce qu’on pense, ce qu’on a appris ou compris. On m’a souvent reproché le côté écrit, long, référencé de mes articles. C’était voulu. La difficulté était pour moi de faire court, pour ne pas assommer le lecteur. La difficulté était de rester simple sans faire dans le simplisme. Y suis-je toujours parvenu ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Mais, comme disait Victor Hugo, Dieu nous aime parce que nous essayons, pas parce que nous réussissons.
L’Agitateur est une aventure collective. Il survivra à mon départ comme il a survécu au départ de Jean-Michel Pinon. J’ai une entière confiance en Cyrano et Bernard. Je sais que Mister K tiendra la barre, fidèle entre les fidèles, avec l’aide de Mercure Galant qui a beaucoup apporté aussi à ce site.
Et puis il est bon que les directoires ne soient pas toujours tenus par les mêmes. C’est sain du point de vue de la vie démocratique.
Il est temps pour moi de faire une pause.
Bonnes vacances, et bon été à tous.