Deux poids, deux mesures.

Quel est le meilleur prix pour un otage ?
samedi 27 février 2010 à 18:05, par Le plumitif arcandier

« Nous ne laisserons tomber aucun de nos compatriotes pris par des terroristes. Nous ne laisserons tomber aucun Français, quelles que soient par ailleurs les erreurs qu’ils aient pu faire, qui se trouve dans l’épreuve ». Nicolas Sarkozy

Deux poids, deux mesures.

Parfois l’actualité crée des rapprochements avec des événements et des déclarations qui en disent long. Pas besoin d’ajouter des couches sur la tartine. En voici, ô estimés lecteurs de l’Agitateur, une jolie démonstration.

Premier chapitre, en Afghanistan.

Deux journalistes français de FR3 habillés en Afghans sont enlevés le 30 décembre, avec trois accompagnateurs locaux, au nord-est de Kaboul. C’est dans cette région que se trouve l’essentiel des troupes françaises réunies au sein de la "task force La Fayette", placée sous commandement américain.

« Il faut communiquer sur le coût des recherches des journalistes en Afghanistan. Il faut que les Français sachent combien ça coûte ! » aurait dit Sarkozy à son ministre de la Défense en Conseil des ministres.
 En effet, le chef de l’Etat est furieux et fait reproche aux deux journalistes de France 3 qui se sont fait enlever alors qu’il préparaient un reportage pour l’émission Pièces à conviction : « Ces journalistes étaient inconscients. "Ils ont agi en contradiction avec les consignes de sécurité. C’est insupportable de voir que l’on fait courir des risques à des militaires pour aller les chercher dans une zone dangereuse, où ils avaient l’interdiction de se rendre », aurait déclaré Nicolas Sarkozy.

C’est un bon petit soldat (pardon, un gradé) qui s’y colle : le général Jean-Louis Georgelin encore chef d’État major des armées à cette date. « Chacun à sa place, fait ce qu’il doit faire. Tous les moyens sont engagés et nous faisons ce que devons faire pour les faire libérer. Et j’ajoute qu’à l’heure actuelle nous avons dépensé plus de dix millions d’euros pour s’occuper de cette affaire. Je ne remets pas en cause la liberté de la presse. Mais j’appelle à la responsabilité des uns et des autres ». Déclaration du général Jean-Louis Georgelin sur Europe 1 le 21 février 2010, à propos des deux journalistes de France 3 enlevés en Afghanistan.

Comme on pouvait s’y attendre, les responsables syndicaux de France Télévisions critiquent le Président : « C’est un véritable scandale. C’est à l’honneur du service public de se rendre sur les lieux de conflit pour révéler la réalité. Ce qui serait scandaleux, c’est qu’il n’y ait aucun journaliste ».

Deuxième chapitre, au Mali.

L’otage français enlevé au Mali vient d’être libéré en échange de plusieurs terroristes emprisonnés. Photo touchante, Pierre Camatte pose à côté de Nicolas Sarkozy à Bamako, le 25 février 2010.

Selon Bakchich.info, Pierre Camatte serait un agent de la DGSE, qui travaillait sous couverture, pour surveiller les mouvements des terroristes algériens de l’ex-GIA (étiquetés aujourd’hui Al Qaïda), au Mali. C’est en tout cas ce qu’a déclaré le Coordinateur national du renseignement à la Présidence de la république, Bernard Bajolet le 27 janvier dernier lors d’une audition à la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale. Ce jour-là, Bajolet, interrogé par un député sur "les informations qu’il pouvait transmettre sur les agents des services retenus en otage" a répondu que huit français étaient alors prisonniers à l’étranger : "quatre au Soudan, un en Somalie, deux en Afghanistan" et "un au Mali, Pierre Camatte". Et Bakchich info s’interroge, Bajolet a-t-il (par maladresse ?) dévoilé la couverture de Camatte, alors retenu en otage. Peu après l’appartenance Pierre Camatte à la DGSE est démentie par l’Élysée. Il fallait comprendre "otages ressortissants français" et non "otages agents de nos services". Mais ça ne change rien sur le fond, qui est la nature de l’échange.

La presse de la région, côté malien comme côté algérien, n’apprécie pas le troc d’otages qui a permis la libération de Pierre Camatte. Dans le quotidien algérien "La Tribune" l’action de la France est sévèrement critiquée : « On ne peut pas lutter contre le terrorisme et exiger la libération de terroristes pour sauver un otage ».

Naturellement, on se pose des questions : La France a-t-elle payé une rançon ? À combien s’élève-t-elle ? Y-a-t-il une autre contrepartie ? Laquelle ?

Épilogue, en France.

Question polémique pleine de vilaine malice, voire de perversité assaisonnée d’une scandaleuse mauvaise foi :

Sachant qu’on a dépensé dix millions d’euros pour ne pas réussir à libérer deux journalistes en Afghanistan (soit cinq millions par journaliste), combien coûte la libération d’un non journaliste présumé agent de la DGSE ? La France a-t-elle payé cinq millions d’euros pour libérer Pierre Camatte ? Est-ce que c’était trop cher ? Quel est le plafond de dépense à ne pas dépasser pour la libération d’un ou plusieurs journalistes ? Est-ce que ça coûte moins cher ailleurs ? On vous laisse le soin d’inventer et de poser vos propres questions...en toute mauvaise foi.


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commentaires
Un journaliste ex otage : "On ne fait même pas le minimum...." - Le plumitif arcandier - 28 février 2010 à 07:35

Interviewé par Rue 89, le journaliste Philippe Rochot (ex otage au Liban), s’interroge sur la différence de traitement entre l’otage français du Mali auquel personne n’a reproché de se trouver dans une zone dangereuse, ou encore Ingrid Betancourt qui se trouvait elle aussi dans une zone dangereuse, et les deux journalistes qui faisaient leur travail en Afghanistan. "C’est incompréhensible" "On ne fait même pas le minimum dans cette affaire" "Je pense qu’on veut essayer de monter l’opinion contre les journalistes, peut-être pour mieux les contrôler " dit-il.
Lire dans Rue 89 : http://www.rue89.com/le-grand-entretien/2010/02/27/on-ne-fait-pas-le-minimum-pour-les-otages-dafghanistan-140648