Simone Weil, un météore dans de sombres temps

Bourges rend hommage à Simone Weil à l’occasion du centenaire de sa naissance.
mercredi 7 octobre 2009 à 05:27, par bombix

De la génération Sartre-Bataille, il n’est guère que Simone Weil qui m’intéresse.
Cioran

Simone Weil, un météore dans de sombres temps
Simone Weil en 1936
En Espagne, avec des camarades de la CNT.

1943, sanatorium d’Ashford, comté de Kent, Angleterre : Simone Weil meurt, épuisée et rongée par la tuberculose. Elle a 34 ans. Depuis des années, elle noircit des cahiers dans lesquels elle élabore une pensée puissante et originale. De son vivant, elle n’a rien publié, si l’on excepte des articles proposés à diverses revues ou à des journaux militants. Méfiante à l’égard des systèmes aux concepts savamment agencés mais qui négligent le réel, elle a toujours conçu et pratiqué l’expérience de la pensée comme une expérience de vie. Sa recherche ardente l’a portée des rivages de la philosophie — dans la tradition transmise par les maîtres de la pensée française d’avant-guerre, tels Alain et René Le Senne — vers la haute mer de la quête mystique. Soucieuse du sort des opprimés et des humiliés, elle s’est faite ouvrière d’usine pour vivre dans sa chair la condition prolétarienne. Longtemps pacifiste — comme de nombreux intellectuels français de son époque — elle s’est pourtant engagée auprès des républicains espagnols pour combattre Franco, et a fait l’expérience tragique de la guerre civile auprès de Durutti. A l’abri aux Etats-Unis auprès de sa famille, elle a voulu rejoindre le Général de Gaulle à Londres pour participer à l’organisation de la France libre, ne supportant pas de rester « à l’arrière ». 1943 : isolée, malade, incomprise, Simone Weil se laisse mourir, laissant derrière elle la lumière d’une oeuvre incandescente, dans un monde de ténèbres empli de bruit et de fureur, théâtre de crimes innombrables et innommables.

Chez Simone Weil, le réel est ce qui se rencontre, ce qui résiste, pèse, blesse. Et si toute conscience est, à n’en pas douter, comme le répètent à son époque les lecteurs français du philosophe Husserl, toujours conscience de quelque chose, toute conscience est d’abord, et avant tout, la conscience de quelqu’un – chair et os, esprit aussi. De là, entre autres conséquences, celles-ci : d’une part le pluriel ne vaut rien dans le domaine de la pensée, « les collectivités ne pensent pas » ; d’autre part il n’y a de liberté concevable qu’incarnée. Humaniste, Simone Weil a jeté un regard neuf sur le travail qui use, taraude, épuise mais peut aussi donner son sens à la vie. C’est dans le travail que se nouent notre aliénation et notre liberté. Amoureuse des mathématiques, lectrice avertie des anciens Grecs qui ont ouvert la voie à la science et à la philosophie en Occident, curieuse de toutes les cultures, elle a affirmé les pouvoirs de l’esprit, en tous et en chacun. « Le génie vient par l’attention » affirmait-elle. Elle a défendu la dignité de la personne humaine face aux forces qui l’écrasent, qu’elles soient naturelles ou sociales. Elle a reconnu l’absolue réalité de ces forces, leur pouvoir térébrant, corrupteur et destructeur, et, parmi les premières, a jeté un regard aigu sur les ressorts de la machine totalitaire, enfant monstrueux du monde moderne. Elle s’est colleté à la misère et au malheur, et si « la solution » au problème du mal — le vrai, le seul problème philosophique — passe chez elle dans la dernière partie de sa vie et de son oeuvre par la mystériologie chrétienne, elle a exploré aussi les voies d’un salut possible dans le monde qui ne s’appuie que sur les pouvoirs de la claire raison et l’engagement auprès des opprimés.

Fascinante Simone Weil. Irritante aussi parfois, par la brutalité de ses affirmations, pour nous qui croyons depuis Descartes que toute pensée est enfantée par le doute. Il reste que la beauté de ses textes, l’acuité de ses analyses, l’absolue sincérité de sa démarche, l’intégrité sans faille de celle qu’Alain nommait affectueusement « la martienne » forcent le respect et souvent l’admiration.

A l’occasion du centenaire de sa naissance, de nombreuses manifestations sont organisées en France. Bourges qui avait honoré la philosophe au milieu des années 90, commémorera à nouveau son souvenir cet automne, du 13 au 15 octobre 2009. Le hasard des nominations de fonctionnaires a lié Simone Weil au Berry. Durant l’année 1935-1936, la jeune agrégée de philosophie était nommée au Lycée de jeunes filles de Bourges [1]. Il restera de son séjour dans la capitale du Cher quelques textes parus dans des journaux militants locaux ainsi qu’une correspondance avec le directeur des usines Rosières d’alors, qu’elle voulait convaincre de l’intérêt d’améliorer les conditions de vie et de travail des ouvriers de sa fabrique ...

Références :

Bourges rend hommage à Simone Weil, à l’initiative de l’Amicale des anciens du Lycée Marguerite de Navarre.

Précisions : Les conférences de Julien Molard (Les valeurs chez Simone Weil) et de Robert Chenavier (Simone Weil témoin lucide et engagé de son temps) auront lieu salle du Duc Jean, à 17h00 et à 19h30 respectivement, le 14 octobre 2009. Par ailleurs, Pascal David, dominicain, donnera une conférence à la Maison diocésaine le 06 novembre sur le thème « Simone Weil, une vie entre le malheur des hommes et le désir de Dieu », le 06 novembre à 20h30.

Oeuvres de Simone Weil en accès gratuit sur Les classiques des sciences sociales de Jean-Marie Tremblay

Une remarquable présentation de la vie et de l’oeuvre de Simone Weil, par François L’Yvonnet.

[1Pour plus de détails, consulter le numéro 121 des Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry, mars 1995.