Pour un nouveau pavé dans la mare aux canards
« Aujourd’hui, j’ai envie de lancer des pavés, pas d’aller voter », écrivait, il y a quelques temps, Didier Lapeyronie, un sociologue. Et si c’était cela, la vraie citoyenneté ?
C’est ainsi que je terminais mon premier éditorial pour l’Agitateur en novembre 1997. Et c’est ainsi que l’Agitateur est devenu à Bourges une sorte de pavé dans la mare aux connards, jeté régulièrement à la figure de tous ces dégoûtants petits notables et politicards berruyers qui pètent souvent leur cul plus haut que leur nez.
Douze ans plus tard, alors que certains pariaient qu’il s’agirait d’un micro-phénomène qui ne ferait pas long feu, l’Agitateur est toujours là, en pleine forme. Il bat même tous les records de visites, y compris en comparaison avec des sites institutionnels. Durant ces années, nous avons eu notre lot de pressions, de menaces en tous genres, de regards noirs, de sourires jaunes. Puis, la méthode « forte » ne fonctionnant pas, nous avons eu droit aussi aux tentatives de récupération et de séduction, d’approches intéressées... Mais l’Agitateur, ce n’est pas une association d’ex-punks en mal de reconnaissance : on ne nous emballe pas dans du beau papier cadeau aussi facilement.
Bref, au fil des années, l’Agitateur est devenu littéralement intouchable. Son succès tient grandement à son indépendance financière totale et à son appartenance à aucune obédience particulière. L’équipe s’est renforcée de nouveaux administrateurs et nous avons sorti quelques beaux papiers... Et même si je regrette, c’est vrai, le penchant parfois un peu trop sérieux de ce webzine qui n’a jamais eu la prétention de l’être, je dois bien admettre que tout va bien.
Trop bien pour moi, qui, depuis deux ou trois ans commence à m’ennuyer d’une formule largement rodée et qui tourne presque toute seule. Il me manque un truc. Un nouveau truc qui puisse me permettre de continuer sans « jouer un rôle » et me « fonctionnariser ». L’idée de refaire une version papier était enthousiasmante, mais compliquée.
Pour les dix ans de l’Agitateur, nous avions envisagé de créer cette fameuse version papier que de nombreuses personnes à Bourges nous suggéraient. Une vraie version papier, puisqu’il n’était pas question de revenir en arrière en faisant ce que nous faisions dix ans auparavant avec un journal photocopié en noir et blanc, réalisé avec des bouts de ficelle. Une longue réflexion et un important travail structurel (l’Agitateur n’est même pas une association de type « loi de 1901 ») avait été ainsi mené. Mais deux ans plus tard le projet était toujours en "stand-by". J’ai compris que les occupations de chacun mais aussi la gestion de l’Agitateur ne permettaient pas de dégager suffisamment de temps pour la réalisation d’un journal papier. Qu’il fallait deux équipes distinctes. L’une chargée de l’Agitateur « web » et l’autre chargée d’une sorte d’Agitateur « papier », sachant que ces deux équipes pourraient éventuellement être amenées à travailler de concert pour partager leurs supports de diffusions respectifs.
Ce qui m’a décidé à franchir le pas, ce sont les projets de fusion entre Le Berry Républicain et La Nouvelle République qui se sont ébruités. Nous avons d’ailleurs été les premiers à briser la loi du silence à Bourges. Pour moi, il est intolérable que ces deux quotidiens dont je m’abreuve depuis mon enfance puissent ne faire qu’un ou ne survivent qu’à la faveur d’un lamentable montage financier incluant les deux titres qui s’auto-concurrenceraient dans un seul et même groupe. Cela constituerait une véritable parodie de pluralisme de l’information.
Mais surtout, ces projets hasardeux sont pour moi voués à l’échec dans la mesure où ils partent du postulat qu’il suffirait d’éliminer toute concurrence pour créer un seul journal aux finances pérennes. C’est méconnaître que la perte constante du lectorat trouve grandement son fondement dans une incapacité sévère des titres de presse quotidienne régionale à renouveler leurs lignes rédactionnelles, à capter de nouveaux lectorats – en particulier les jeunes – à être réellement indépendants et à se remettre fondamentalement en cause. Certes, des progrès – qui m’ont plus d’une fois surpris agréablement, en particulier pour Le Berry Républicain – ont été accomplis. Cependant, lorsque l’on constate certaines « anomalies » dans la hiérarchisation de l’information – comme par exemple le silence assourdissant qui a accompagné la démission de M. Colling du CNV, dont la directrice a pourtant souligné que « La démission du Président d’un établissement public n’est pas un événement anodin » - il y a toute latitude pour penser que beaucoup de travail en recherche d’indépendance et d’impartialité reste à mener.
Les aides publiques à la presse sont déjà phénoménales. Les États Généraux de la Presse ont permis de dégager une enveloppe globale de 150 millions d’euros cette année qui s’ajoutent aux 277 millions d’euros alloués dans le cadre de la loi de finances 2009. Le problème de l’industrie de la presse est le même que celui de l’industrie musicale. Ces industries vieillissantes refusent de se remettre en cause et de s’adapter. Elles fustigent l’internet comme cause de tous leurs maux, réclament des lois qui les protégeraient des nouveaux modèles économiques, quémandent toujours plus d’argent à l’État au point de se retrouver en situation d’assistanat. Quel paradoxe que cette presse libérale qui en appelle à l’État pour rester en vie !
Ce n’est pas bon pour la liberté de la presse. Ce n’est pas bon pour la liberté d’expression. Et cela n’empêchera pas cette folle course en avant des « plans de restructuration » avec la disparition de nombreux titres et la constitution de wagons entiers de journalistes et de personnels de presse licenciés. Évidemment, dans le contexte politique très trouble que l’on est forcé de vivre au quotidien, on se doute que ce sont les journalistes les plus indépendants et les plus professionnels qui sont mis à la porte les premiers.
Le Président de la République souhaite créer à terme de grands groupes de presse surpuissants qui diffuseront une information uniforme, facilement contrôlable par le pouvoir auxquels ces groupes seront grandement redevables. C’est pourquoi, le pluralisme et la liberté de la presse ne pourront être défendus que par l’émergence d’une multitude de petits titres d’information, fonctionnant en réseaux, non subventionnés, diffusés sur de multiples supports et sous de multiples formes.
A notre modeste niveau de Bourges et du Cher, il est possible d’agir. J’invite chaque citoyen, où qu’il se trouve en France, à se constituer en média indépendant. Localement, je veux que les responsables des groupes Centre-France et NRCO sachent que nous nous emploierons avec détermination à ce qu’il n’y ait jamais à Bourges un seul titre de presse locale. Et qu’il est donc inutile de sacrifier les emplois des meilleurs journalistes et pigistes du Berry Républicain et de La Nouvelle République qui ne feraient que renforcer les rangs de nos nouveaux médias.
J’en appelle à tous : journalistes professionnels de Bourges et du Cher, citoyens attachés à la liberté de la presse et à la liberté d’expression, joyeux mécènes, responsables associatifs, commerçants libres, berruyers et berruyères soucieux de la vie sur leur territoire... rejoignez-nous pour imaginer et créer avec nous une réponse crédible à cette soit-disant « crise de la presse » qui imposerait comme solution unique la fusion de canards boiteux. Faisons en sorte que le 23 octobre prochain, les bruissements de feuilles libres titillent nos oreilles et fassent briller nos yeux. Ce n’est pas gagné, loin de là. Ça va peut-être foirer complètement. Mais essayons au moins de sortir ce numéro unique pour ouvrir à notre presse quotidienne régionale adorée, une voie nouvelle et lui offrir un second souffle.
Vive Le Berry Républicain,
Vive La Nouvelle République,
Vive le Berry indépendant !