Une saison en enfer

jeudi 11 décembre 2008 à 15:16, par Harry Stott

Dans un récent forum, un visiteur a parlé de ploutocratie. Ce mot d’origine grecque indique que c’est la richesse (ploutos) qui est puissante, qui domine (krateîn). Si ces ploutocrates semblent déguisés en démocrates, cette ruse vient de loin et inspire quelques propos...

Une saison en enfer
Ploutos

Ils sont malins, ces Grecs... Ils avaient tout prévu... Les Enfers, leurs fleuves de feu, de douleur, de lamentations... Cerbère et ses trois têtes chercheuses... et surtout, surtout, Pluton, alias Hadès. Ploutôn, en grec, la richesse [1] ; son domaine était souterrain et tous les métaux se trouvent sous la surface de la terre... Il était déjà placé au bon endroit, l’argent : aux Enfers ! Quel nez, ces Grecs ! Mais malins encore, ils s’étaient gardé une place au soleil, sans Pluton. Ils avaient même essayé de s’organiser : ils appelaient ça la démocratie, le pouvoir – ou un certain pouvoir – aux dèmes, lointains ancêtres de nos cantons. Et chaque canton formait le tiers d’une communauté politique : s’y retrouvaient, pour l’occasion et pour le plus grand bien du tissu social ainsi tramé, des gens du littoral, de la ville et de la campagne [2] . Intérêts différents, intérêts partagés, choix communs. Découpage salutaire et malicieux... Ils se sont débrouillés comme ils ont pu, ça n’a pas trop mal fonctionné. Ça discutait beaucoup, on savait argumenter, il y en avait des écoles pour ça : le Lycée, l’Académie et ses jardins !... Et même si on n’y était pas allé, on s’exprimait en public. La clepsydre distribuait le temps de parole de façon égale, quel que fût l’orateur. Les dieux regardaient amusés ; ils surveillaient, mine de rien. Héra (Junon pour les intimes...) avait même un système avancé pour l’époque, un monstre à cent yeux, cinquante qui veillaient pendant que cinquante autres dormaient avant de relayer les cinquante premiers... Ça aussi, les Supérieurs qui observent, ça ressemble à une prémonition, non [3] ?

Parmi tous ces dieux suprêmes, mine de rien, un dieu s’était montré plus terrible, plus redoutable que les autres. Jurer par lui était irrévocable, tout serment en son nom était infrangible. Il faisait peur à ses frères. Alors, si même les dieux le redoutaient, combien pouvaient le redouter les hommes ?... On n’ose y songer !... Petit à petit, presque insensiblement, on a cheminé de la démocratie à l’oligarchie, l’aristocratie, la bureaucratie... pour arriver, piano ma sano, à la ploutocratie. Les dieux étaient morts mais un autre venait... Les signes en ont couru sur terre et d’aucuns les ont aperçus. Rabelais : " Alors dist Pantagruel : « Si les signes vous faschent, ô quant [4] vous fascheront les choses signifiées ! »" Brassens : "Et l’un des derniers dieux, l’un des derniers suprêmes / Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même. / Un beau jour on va voir le Christ / Descendre du Calvaire en disant dans sa lippe : / « Merde ! Je ne joue plus pour tous ces pauvres types ! / J’ai bien peur que la fin du monde soit bien triste. »" [Le grand Pan].
Nous voici donc sous le règne du Riche. On raconte une autre histoire également édifiante pour l’homme à son propos. Après maints procès et querelles, Pluton avait obtenu d’avoir six mois dans sa couche la belle Perséphone (Proserpine...), le temps de laisser passer l’automne et l’hiver. Au printemps et pendant l’été, Perséphone rejoignait sa maman éperdue, Déméter (Cérès...), pour s’occuper de la terre. Tout renaissait alors. Cette interprétation des saisons pourrait être aussi un avertissement : cultiver la terre ou l’argent, il faut choisir ! Faire du blé... il y a bien là deux façons de penser, de comprendre...

Autre prémonition malicieuse ( ? ) : les Grecs plaçaient les Enfers à l’ouest...

On pensera peut-être que, dans leur géographie, les Grecs se sont égarés en confiant aux Bienheureux l’Élysée (des îles, toujours à l’ouest)... à moins qu’ils n’aient été encore plus lucides qu’on ne le pense : les Bienheureux, ce sont ceux d’en haut, c’est encore la bande à Pluton, celui qui garde leur tirelire... Au fond, tout au fond, rien n’a changé. Les Français resteront-ils longtemps dévots ?...

[1Les Grecs avaient déjà de ces pudeurs ! Certains l’avaient nommé Ploutôn au lieu de Ploutos (la richesse), croyant atténuer la chose par un simple changement de suffixe...

[2Pour tout ce qui concerne la Grèce ancienne [la mythologie, tout le système de gouvernement des Grecs, etc.] on consultera avec le plus grand profit le site de Monsieur Bradu : http://jfbradu.free.fr/GRECEANTIQUE/index.htm

[3Argos, ce fameux vigile chéri de Junon, fut tué par Hermès (Mercure). Junon en conçut un vif chagrin ; elle orna alors la queue du paon, son oiseau, des cent yeux d’Argos. On voit mal aujourd’hui des caméras orner la queue d’un paon ! Les poètes ont disparu...

[4Quant = combien.

commentaires
Une saison en enfer - Mercure Galant - 11 décembre 2008 à 21:44

Argos, ce fameux vigile chéri de Junon, fut tué par Hermès (Mercure).

Je ne me souvenais pas avoir été si cruel. ;-)


#15015
Une saison en enfer - Harry Stott - 12 décembre 2008 à  09:02

Ce meurtre remonte en effet à des temps immémoriaux... Il y a donc, aussi, prescription ; n’ayez crainte :-)

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