Between Hope and Reality
Événement politique incontestable, l’élection à la Présidence des Etats-Unis de Barak Obama a provoqué une liesse en Europe et en France qui ne manque pas d’interroger. Faut-il se réjouir de la victoire du candidat du Parti Démocrate américain ? Oui, bien sûr, dans un sens. Mais sans illusions.
À l’évidence, les américains du nord ont voulu tourner une page : après huit ans de gouvernement Bush, après les aventures militaires désastreuses en Irak et en Afghanistan, en pleine crise économique, ils ont fait le choix d’un homme neuf, d’un homme capable d’incarner à nouveau « le rêve américain ».
Obama il est vrai, incarne la tradition libérale américaine [1] ; il n’est pas hostile dans une certaine mesure, aux interventions de l’Etat pour protéger les plus faibles (welfare state). Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il est un révolutionnaire d’un point de vue de sa politique sociale. Il demeure par exemple hostile à la mise en place d’un système de santé national. Il est un ferme partisan de la peine de mort. On aurait d’ailleurs du mal à se prononcer avec assurance pour l’instant sur son programme de politique intérieure qui demeure assez flou.
Pour la politique extérieure des USA en revanche, il n’y a pas grande chance que quoi que ce soit change. Certes, il cherchera à sortir du bourbier irakien. Mais cela ne signifie pas qu’il ne défendra pas pied à pied les intérêts de l’Empire — au moyen et au proche orient en particulier. On ne saurait oublier non plus qu’homme de l’establisment, il a reçu le soutien des milieux d’affaires et de puissants lobbies, dont le lobby de l’industrie militaire. Surtout, on fera remarquer que son élection est la résultante d’un fort mouvement de sursaut national. Que ceux qui spéculaient ici et là sur la mort de l’idée de nation au profit d’un cosmopolitisme béat et fraternel en soit pour leurs frais : Obama doit sa force au fort sentiment d’union nationale qu’il a su faire naître et exploiter.
Ces éléments, replacés dans le contexte de la crise économique internationale actuelle, ne doivent pas manquer d’inquiéter. On sait les origines de cette crise : les USA vivent à crédit et sont endettés bien au-delà de ce qu’ils sont dans la capacité de rembourser. Or, à la différence des pays pauvres, le pays le plus riche du monde, quand il ne peut plus rembourser ses dettes, ne se serre pas la ceinture, mais serre celle des autres ! C’est donc toute l’économie mondiale qui sera mise à contribution pour redresser la barre. L’union nationale américaine qu’incarne Obama se fera d’abord et avant tout sur le champ de bataille de la guerre économique. Obama va défendre son pays et ses capitalistes. D’ores et déjà, des mesures protectionnistes sont annoncées pour défendre l’industrie américaine contre la concurrence étrangère.
Reste cet événement que pour la première fois de son histoire, les USA portent à leur tête un noir. C’est la vraie bonne nouvelle de cette élection. Et l’on comprend l’émotion qu’elle a pu susciter. Mais que cela ne fasse pas oublier le reste. « I have a dream », avait dit Martin Luther King ; le rêve est encore à réaliser, et le chemin est long.
Document
Lettre ouverte du sénateur Ralph Nader, un « petit candidat », lettre ouverte publiée le jour même de l’élection d’Obama et qui s’intitule : An Open Letter to Barrack Obama, Between Hope and Reality
Dear Senator Obama :
In your nearly two-year presidential campaign, the words "hope and change," "change and hope" have been your trademark declarations. Yet there is an asymmetry between those objectives and your political character that succumbs to contrary centers of power that want not "hope and change" but the continuation of the power-entrenched status quo.
Far more than Senator McCain, you have received enormous, unprecedented contributions from corporate interests, Wall Street interests and, most interestingly, big corporate law firm attorneys. Never before has a Democratic nominee for President achieved this supremacy over his Republican counterpart. Why, apart from your unconditional vote for the $700 billion Wall Street bailout, are these large corporate interests investing so much in Senator Obama ? Could it be that in your state Senate record, your U.S. Senate record and your presidential campaign record (favoring nuclear power, coal plants, offshore oil drilling, corporate subsidies including the 1872 Mining Act and avoiding any comprehensive program to crack down on the corporate crime wave and the bloated, wasteful military budget, for example) you have shown that you are their man ?
Cher Sénateur Obama,
Pendant les presque deux années de votre campagne présidentielle, les mots « espoir et changement », « changement et espoir » ont été votre slogan. Cependant, il y a une grande différence entre ces objectifs et votre propre personnage politique, personnage qui succombe aux groupes de pression qui ne veulent ni « changement » ni « espoir », mais seulement le maintien d’un status quo dans la répartition des pouvoirs.
Bien plus que le sénateur McCain, vous avez reçu des contributions énormes et sans précédent de la part des intérêts des entreprises, de Wall Street et, plus intéressant encore, des cabinets d’avocats du droit des affaires. Jamais auparavant un candidat démocrate n’était parvenu à une telle suprématie sur son opposant républicain. Pourquoi, en dehors de votre soutien inconditionnel au plan de sauvetage de Wall Street à hauteur de 700 milliards de dollars, est-ce que les grandes entreprises ont autant investi sur le sénateur Obama ? Serait-ce parce que vos états de service en tant que sénateur de votre État, au Sénat américain et lors de votre campagne présidentielle (en faveur de l’énergie nucléaire, des usines à charbon, des forage offshore, des subventions aux entreprises - dont le « 1872 Mining Act » - et évitant tout programme d’envergure pour combattre la vague de crimes économiques et limiter un budget militaire pharaonique et inutile, par exemple) ont déjà prouvé que vous étiez leur homme ?
To advance change and hope, the presidential persona requires character, courage, integrity— not expediency, accommodation and short-range opportunism. Take, for example, your transformation from an articulate defender of Palestinian rights in Chicago before your run for the U.S. Senate to an acolyte, a dittoman for the hard-line AIPAC lobby, which bolsters the militaristic oppression, occupation, blockage, colonization and land-water seizures over the years of the Palestinian peoples and their shrunken territories in the West Bank and Gaza.
Pour faire avancer le changement et l’espoir, il faut une personnalité présidentielle qui ait du caractère, du courage, de l’intégrité - pas de la connivence, de l’accommodement et de l’opportunisme à courte-vue. Prenez, par exemple, votre transformation d’un défenseur éloquent des droits des Palestiniens, à Chicago avant que vous ne vous présentiez au Sénat, en un acolyte, un pantin du lobby extrémiste de l’AIPAC, qui soutient l’oppression militaire, l’occupation, le blocus, la colonisation et la confiscation de l’eau, depuis des années, contre le peuple palestinien et leurs territoires réduits de Cisjordanie et Gaza.
During your visit to Israel this summer, you scheduled a mere 45 minutes of your time for Palestinians with no news conference, and no visit to Palestinian refugee camps that would have focused the media on the brutalization of the Palestinians. Your trip supported the illegal, cruel blockade of Gaza in defiance of international law and the United Nations charter. You focused on southern Israeli casualties which during the past year have totaled one civilian casualty to every 400 Palestinian casualties on the Gaza side. Instead of a statesmanship that decried all violence and its replacement with acceptance of the Arab League’s 2002 proposal to permit a viable Palestinian state within the 1967 borders in return for full economic and diplomatic relations between Arab countries and Israel, you played the role of a cheap politician, leaving the area and Palestinians with the feeling of much shock and little awe.
Durant votre voyage en Israël cet été, vous avez consacré à peine 45 minutes de votre temps aux Palestiniens, sans conférence de presse, et aucune visite dans un camp de réfugiés palestiniens qui aurait pu attirer l’attention des médias sur la brutalisation des Palestiniens. Votre séjour a soutenu le blocus cruel de la bande de Gaza, au mépris du droit international et de la Charte des Nations Unies. Vous vous êtes préoccupé des pertes dans le sud d’Israël, où les pertes de l’année dernière se sont élevées à une victime civile pour 400 victimes palestiniennes dans la bande de Gaza. Au lieu d’une prise de position politique qui aurait rejeté toutes les violences et leur remplacement par l’acceptation de la proposition de la Ligue arabe de 2002 qui permettrait un État palestinien viable dans les frontières de 1967 en échange du rétablissement de relations économiques et diplomatiques complètes entre les pays arabes et Israël, vous avez tenu le rôle d’un piètre politicien, laissant l’endroit et les Palestiniens avec un sentiment de choc et un peu de crainte
You have turned your back on the 100-million poor Americans composed of poor whites, African-Americans, and Latinos. You always mention helping the "middle class" but you omit, repeatedly, mention of the "poor" in America.
Vous avez tourné votre dos aux 100 millions d’américains pauvres composés de blancs, d’afro-américains et de latinos pauvres. Vous avez toujous parlé d’aider la « classe moyenne », mais avez systématiquement oublié de mentionner les « pauvres » en Amérique.
Should you be elected President, it must be more than an unprecedented upward career move following a brilliantly unprincipled campaign that spoke "change" yet demonstrated actual obeisance to the concentration power of the "corporate supremacists." It must be about shifting the power from the few to the many. It must be a White House presided over by a black man who does not turn his back on the downtrodden here and abroad but challenges the forces of greed, dictatorial control of labor, consumers and taxpayers, and the militarization of foreign policy. It must be a White House that is transforming of American politics— opening it up to the public funding of elections (through voluntary approaches)— and allowing smaller candidates to have a chance to be heard on debates and in the fullness of their now restricted civil liberties. Call it a competitive democracy.
Si vous étiez élu Président, il faut que cela soit plus qu’une ascension sociale sans précédent à la suite d’une brillante campagne sans scrupules qui a parlé de « changement » tout en démontrant une obéissance objective à la concentration des pouvoirs dans les mains des « suprémacistes des grandes entreprises » (« corporate supremacists »). Cela devrait être : rendre le pouvoir confisqué par quelques uns à tous. Cela devrait être une Maison Blanche présidée par un homme noir qui ne tourne pas le dos aux opprimés d’ici et d’ailleurs, mais affronte les forces de la cupidité, le contrôle dictatorial des travailleurs, des consommateurs et les contribuables, et la militarisation de la politique étrangère. Cela doit être une Maison Blanche qui transforme la politique américaine - en commençant par le financement public des élections (au travers d’une démarche volontariste) - et en permettant aux petits candidats d’avoir une chance d’être entendus dans les débats et dans la plénitude de leurs droits civiques actuellement restreints. Appelez cela une démocratie compétitive. [2]