Royal Show : rupture ou continuité ?

mercredi 1er octobre 2008 à 04:56, par bombix
Royal Show : rupture ou continuité ?

Le « show » de Ségolène Royal samedi [1] au Zénith de Paris a surpris, voire choqué. Ségolène aurait-elle passé la mesure, avec ce spectacle grotesque, cet appel aux « bons sentiments » dégoulinants, et surtout cette personnalisation à outrance de la joute politique ?
Les critiques n’ont pas manqué de fuser, et d’abord au PS, dans le propre parti de Ségolène Royal. H. Emmanuelli, éléphant bougonnant, n’a pas manqué de pourfendre « ce genre de cérémonie qui est entre le show-business et le rassemblement de secte » pour défendre une vision de la politique qui s’intéresse plus « au fond qu’à la forme ».
Pourtant, Ségolène Royal, loin d’innover véritablement, ne fait que poursuivre et développer un mouvement qu’elle a engagé à l’occasion de la campagne présidentielle.
Pourquoi la Présidente de la Région Poitou-Charentes renoncerait-elle à une démarche qui lui a jusqu’à présent si bien réussi, en particulier pour gagner les primaires de la présidentielle ? Au-delà, faut-il considérer Ségolène comme une personnalité singulière et atypique ? Ou Ségolène est-elle plus simplement le « produit » naturel d’un Parti Socialiste à la dérive depuis un certain nombre d’années ?

Ségolène Royal innove peut-être, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle n’a pas inventé le marketing politique, qui applique les méthodes commerciales pour « vendre » des candidats. Le marketing politique [2] n’est que l’un des avatars de la propagande, mot dont le sens originellement religieux [3] atteste assez sa proximité avec l’irrationnel et le fanatisme.
Par ailleurs, dans une société qui s’agenouille devant la « communication », est-il vraiment surprenant que la « communication » se soit emparée aussi de la politique ? Ségolène Royal n’innove rien non plus de ce coté-là. En France, le premier à l’avoir compris fut sans doute le Général de Gaulle dans son emploi maîtrisé de la télévision où la mise en scène et les gestes du comédien venaient constamment soutenir le verbe du rhéteur.

On admettra cependant qu’il y a une différence de nature entre ce que les politiques concèdent (parfois malgré eux) à la « communication » ou à la nécessité de la propagande, et les phénomènes qui se déroulent sous nos yeux sur la scène politique depuis le début des années 2000. Il y a comme un palier qui semble franchi, et on a le sentiment confus qu’une nouvelle ère s’est ouverte désormais.

Pour comprendre ce qui se passe, il faut faire intervenir ici un concept qui connaît aujourd’hui une certaine fortune dans les média et dans le monde politique : la « doxacratie », ou pour le dire de façon moins pédante, « la démocratie d’opinion » [4]. Schématiquement, la « démocratie d’opinion » s’oppose à la démocratie représentative inséparable de ses rites et de ses institutions (partis politiques, suffrage universel, parlement ...). Nos démocraties modernes auraient vu naître ce nouvel acteur que serait l’opinion publique, traquée par les sondages, courtisée par les politiques, vilipendée par les savants.
En soi, ce n’est pas l’idée d’opinion publique qui est nouvelle. Ce qui est nouveau, ce sont ses pouvoirs supposés. Et les pouvoirs de l’opinion publique sont inextricablement liés aux conditions nouvelles de production et de diffusion de l’information. L’opinion publique ne se contente plus d’opiner. L’opinion publique s’exprime et profite des nouveaux média (et en particulier d’internet) pour faire entendre sa voix. L’opinion nourrit l’opinion qui fait (et défait) les rois. Ou les reines.
Hélas, pour « les savants » et les « gens autorisés », l’opinion a trois défauts intrinsèques : elle est passionnelle, fluctuante et ignorante.

On ne discutera pas ce jugement qui n’est pas sans colporter lui-même un certain nombre de préjugés [5]. Qu’on en pense du bien ou du mal, l’opinion publique comme instrument de pouvoir ou de contre-pouvoir est aujourd’hui une nouvelle pièce, majeure, présente sur l’échiquier politique. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal sont les premiers à en avoir pris la mesure et à en avoir tiré les conséquences dans leur stratégie politique.

Il est certain par exemple que Ségolène Royal s’est appuyée fortement sur l’opinion [6] contre l’appareil du PS et ses éléphants, par divers moyens dont la carte à 20 euros disponible on line, la constitution des comités Désirs d’avenir, mais aussi de puissants relais sur le web, l’appel aux sondages, la personnalisation du combat au nom du « charisme », la mobilisation de relais symboliques comme l’exploitation d’images religieuses etc.

Qu’y a t-il donc de vraiment nouveau dans le show proposé au Zénith ce week-end ? Rien, sinon peut-être que « la méthode Royal » s’y exprime plus systématiquement, se décante et se livre au regard sous une forme que l’on pourrait dire épurée. Dans ce sens, le Royal Show du 27 septembre 2008 ne fait que manifester plus ostensiblement ce qui demeurait à l’état latent dans ce qu’il faut bien appeler le « projet politique » de la rivale malheureuse de Sarkozy.

Mais on serait incomplet si l’on se contentait de dire que Royal continue son entreprise de séduction de l’opinion, dans une partie où les règles du jeu ont changé insensiblement.

Une constante du discours de Royal, et pas seulement depuis son show au Zénith, est la mobilisation des « valeurs ». Quand la politique décline, est venu le temps des valeurs. Et plus elles sont amples, vagues et consensuelles, mieux elles font l’affaire. Pendant la campagne présidentielle, on avait eu droit à « l’ordre juste ». Qui pouvait être contre l’ordre juste ? On nous sert aujourd’hui « la fraternité ». Qui se déterminera contre la fraternité, qui, au passage figure dans la devise de la République ? Au moins l’appel aux « valeurs » perdues dans la nébuleuse des bons sentiments permet-il de faire oublier qu’on a oublié en chemin tout projet de transformation sociale réelle. Mais c’est tout le PS, depuis sa conversion au libéralisme, et pas seulement Ségolène Royal, qui porte une responsabilité majeure dans cet abandon.

Ce parti et ses cadres sont donc bien mal placés aujourd’hui pour vilipender un personnage qui promeut le culte de la personnalité avec le discours creux qui l’accompagne, en lieu et place d’un projet émancipateur, alors que toute son histoire, depuis les vingt-cinq dernières années, a contribué à faire naître une Ségolène.

Ségolène Royal ne rompt pas plus avec notre histoire politique qu’avec celle du PS. Elle les prolonge et en exhibe en quelque sorte le sens. Ou le non-sens ...

[127 Septembre 2008

[2Sur les nouvelles techniques du marketing politique, voir notre recension du livre de C. Salmon, Storytelling

[3cf. congregatio de propaganda fide : congrégation pour propager la foi

[4Voir sur ce point par exemple le livre de Jacques Julliard, La Reine du monde : essai sur la démocratie d’opinion, Flammarion, 2008

[5On pourrait relever que les mêmes arguments furent opposés à l’idée de suffrage universel.

[6Nicolas Sarkozy , lors de sa prise de l’UMP, mena également la rebellion de l’opinion contre les caciques chiraquiens qui tenaient l’appareil du parti

commentaires
Royal Show : rupture ou continuité ? - 7 novembre 2008 à 20:48

“Ségolène Royal ne rompt pas plus avec notre histoire politique qu’avec celle du PS. Elle les prolonge et en exhibe en quelque sorte le sens. Ou le non-sens ...”

En attendant, elle vire en tete dans le vote des motions !


#14614
Royal Show : rupture ou continuité ? - bombix - 7 novembre 2008 à  21:05

“Ségolène Royal ne rompt pas plus avec notre histoire politique qu’avec celle du PS. Elle les prolonge et en exhibe en quelque sorte le sens. Ou le non-sens ...”

En attendant, elle vire en tete dans le vote des motions !

Oui. C’est consternant. Que n’avez-vous cependant cité le paragraphe qui précèdait :

Ce parti et ses cadres sont donc bien mal placés aujourd’hui pour vilipender un personnage qui promeut le culte de la personnalité avec le discours creux qui l’accompagne, en lieu et place d’un projet émancipateur, alors que toute son histoire, depuis les vingt-cinq dernières années, a contribué à faire naître une Ségolène.

À gauche, il n’y a plus grand chose à attendre du Parti Socialiste. JL Mélenchon et Marc Dolez l’ont maintenant compris. En tous cas, des choses bougent à gauche en France. Il y a des forces à capter que d’aucuns ne sont pas prêts à laisser au seul NPA. Témoin à Bourges cette initiative pour rassembler une gauche anti-libérale qui réunit des communistes, des ex-communistes et des membres de la liste A gauche Bourges. Mais peut-on faire du vin nouveau dans de vieilles outres staliniennes ? ... L’échec des collectifs 29 mai a montré les limites de cette démarche.

#14615 | Répond au message #14614
Royal Show : rupture ou continuité ? - B. Javerliat - 8 novembre 2008 à  04:48

Mais peut-on faire du vin nouveau dans de vieilles outres staliniennes ?

Remarquez que JL Mélenchon, dès son départ du PS, en a tout de suite appelé à ses amis communistes : « Le sénateur Jean-Luc Mélenchon a dit réfléchir pour savoir s’il rejoindrait ou non le groupe communiste et républicain de la haute assemblée. » (Le Monde du 7/11/08) ou « Je pense que les gens qui sont socialistes comme moi, ils entendent bien, ça : ça leur plait des socialistes alliés à des communistes » (C dans l’air du même jour, 44e minute). Ou comment, d’une démarche qui aurait pu susciter l’intérêt, on retombe dans les vieilles lunes.

#14618 | Répond au message #14615
Royal Show : rupture ou continuité ? - 2 octobre 2008 à 12:55

Alors là je crois rêver, d’après vous Ségolène serait à envisager comme un anti - dépresseur. C’est vrai que soutenir une candidate qui avoue sans remords qu’elle a portée des propositions auxquelles elle ne croyait pas (l’augmentation du SMIC si je ne m’abuse) est des plus décontractant comme traitement… Gageons que son intention de supprimer les licenciements soit chevillée au corps. Passer de la Vierge Marie à Louise Michel ça tient du miracle cathodique !

Un incrédule.


#14150
Royal Show : rupture ou continuité ? - Mercure Galant - 2 octobre 2008 à 06:52
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#14147
Royal Show : rupture ou continuité ? - Jean-Michel Pinon - 2 octobre 2008 à  12:29

D’enfer !!!

soulignons pour ceux qui ne connaissent pas le titre "Antisocial" du groupe TRUST que la citation "impossible de violer cette femme pleine de vices" est bien un extrait des paroles originales du morceau.

#14149 | Répond au message #14147
Royal Show : rupture ou continuité ? - B. Javerliat - 2 octobre 2008 à  13:06
#14151 | Répond au message #14149
Royal Show : rupture ou continuité ? - Mercure Galant - 2 octobre 2008 à  18:12

Ah tiens c’est marrant ! Je n’avais pas vu la version Ségolène ... Sinon pour coller au plus près, j’aurai évidemment rajouté le bonnet ! ;-)

#14154 | Répond au message #14151
Royal Show : rupture ou continuité ? - Eulalie - 1er octobre 2008 à 17:39

C’est quoi ce show ? ça passait à la télé samedi ? c’était un show au zénith juste pour les militants et cadres PS ? c’était Royale qui invitait el populo à écouter son discours ? je pane rien. Le PS il l’a commencé son Congrès ? je croyais que c’était en novembre. Enfin, j’ai l’impression que ça fait 2 ans qu’il est commencé ce congrès, mais bon passons....

Bref. Ce truc a t-il été retransmis sur les grandes chaines de TV ou était-ce juste un spectacle dans le Zenith, dont les journaux TV et papiers auraient juste retransmis quelques bribes. Ou alors a t-elle remplacé le spectacle du samedi soir dans les chaumières ? j’en ai pas dutout entendu parler de ce show, , je viens de découvrir sur l’Agitateur et par la même occasion que S. Royale porte un jean , un tunique de babos, il me semble, et elle frise. Manque plus qu’un joint de la fraternité.


#14143
Royal Show : rupture ou continuité ? - B. Javerliat - 1er octobre 2008 à  18:46

C’est quoi ce show ?

La video : http://www.dailymotion.com/video/k7orWJEwSdHjM9MPQf

ça passait à la télé samedi ?

Retransmis en direct sur la chaîne de télévision I-Télé

#14144 | Répond au message #14143
Royal Show : rupture ou continuité ? - bombix - 1er octobre 2008 à 12:58

Berni convertit par Ségo. Pas Bernie Bonvoisin, ce serait pas un scoop ;-) Berni Bernichon. Julien de son prénom. Voirce billet.


#14137
Royal Show : rupture ou continuité ? - Jean-Michel Pinon - 1er octobre 2008 à  13:39

Berni convertit par Ségo. Pas Bernie Bonvoisin, ce serait pas un scoop ;-) Berni Bernichon. Julien de son prénom. Voir ce billet.

Ben, en fait, si, Bernie Bonvoisin a joué au concert de Ségolène Royal avec son groupe TRUST. Oui, le groupe Trust qui chante "Atantisocial tu perds ton sang froid" !

#14138 | Répond au message #14137
C’est qui Bernichon ? - B. Javerliat - 1er octobre 2008 à  13:58

Au risque de passer pour un imbécile, c’est qui ce Julien Bernichon ?
En cherchant sur internet j’ai trouvé qu’il est du Nord-Pas-de-Calais. Pourquoi en parle-t-on ici ?
A lire son billet, on voit qu’il se cherche simplement une idole, et qu’il l’a rencontrée !

Ségo (...) me tourne la tête
Époustouflante Ségolène au zénith

Et de reconnaitre que ça n’est pas grave s’il n’y a pas d’idées :

où sont les propositions ? où sont les mesures pour les chômeurs ? pour les retraités ? pour les jeunes ? pour l’école ? pour le social. Pour les femmes ? pour les pauvres ? pour les moins riches ? et pour l’Europe ? et pour l’Afrique ? pour le reste, faites le 118 218. (...) Ségolène contourne l’idéologie

En fait, il explique parfaitement le profil de la clientèle de Ségolène Royal : des fans décérébrés de la star’ac en quête d’idole.

Je ne sais pas où cela va nous mener. Qu’importe, j’en prends le risque car je suis désenchanté et veux retrouver le plaisir d’être ensemble, en chantant, même une défaite

.

#14139 | Répond au message #14137
C’est qui Bernichon ? - bombix - 1er octobre 2008 à  14:15

Eh ! y’ a pas que Google dans la vie ;-) En faisant une petite recherche avec le moteur de recherche de l’Agitateur, on trouve plusieurs articles signés Julien Bernichon, dont celui-ci.

Julien nous a fait l’amitié de publier quelques textes dans l’Agitateur. Et ses positions étaient assez tranchées vis à vis de Ségo. D’où la surprise de ce revirement soudain. Ce pourquoi je l’ai mentionné.

#14141 | Répond au message #14139
C’est qui Bernichon ? - Mister K - 1er octobre 2008 à  16:48

En même temps, ce soutien est à double tranchant. On sent bien une certaine ironie du style "puisqu’on est tous fous au PS, moi aussi je suis fou et je soutiens Ségolène Royale". On sent que Julien connait la chanson et qu’il aime chanter. Chanter pour oublier ?
Et la conclusion du billet est assez terrible...

#14142 | Répond au message #14141
Royal Show : rupture ou continuité ? - B. Javerliat - 1er octobre 2008 à 08:01

Le phénomène Royal n’est que le symptôme d’un parti en déliquescence. Si le PS avait un projet politique, un projet de société, il (le phénomène)n’aurait pas pu exister. Les feux de la rampe du Royal Show ne font que mettre en lumière la vacuité idéologique des dirigeants du PS. S’acharner sur Ségolène leur permet de ne pas voir leur propre incurie. Et accessoirement de laisser un boulevard devant la droite.


#14133
Royal Show : rupture ou continuité ? - Punisher - 1er octobre 2008 à  08:32

Un article dégoulinant de mépris et d’un élitisme sans nom.
La véritable dimension du rassemblement - à savoir ne pas s’enfermer dans la déprime - est occultée par une analyse qui pue la ’’bien pensance’’ et la censure.
Des milliers des personnes - dont moi - ont aimé cette Ségolène Royal là, enfin libérée de ses rigidités, drôle, sensuelle, charismatique, fraternelle.
Oui, elle a inauguré un nouveau genre (que l’on peut ne pas aimer) qui casse les rites et les codes habituels.
Vous avez été choqué ? Hé bien, vous devez être un sacré puritain.

#14134 | Répond au message #14133
Royal Show : rupture ou continuité ? - Vanoise - 1er octobre 2008 à  08:36

Surtout, que les socialistes sont assez idiots pour ne pas voir qu’en s’en prenant à leur ex-candidate, ils font le jeu de la majorité. Avec ces guignols-là, l’UMP n’ a aucun souci à se faire jusqu’en 2017. Quant à Royal, pour avoir affaire à si forte partie, l’UMP, les médias qui sont aux mains de financiers de la majorité, ses rivaux du PS, elle s’en sort assez bien. Finalement, lorsqu’on est aussi dépourvue d’appuis médiatiques, c’est peut-être une bonne manière d’exister demanière originale.

#14135 | Répond au message #14133