CULTURE EN QUESTIONS

"Il n’y a pas besoin d’appel divin ou mystérieux pour écrire !"

Interview de Frédéric Terrier (première partie )
jeudi 28 août 2008 à 08:18, par Mercure Galant

En juillet dernier et pour la sixième année consécutive, se sont déroulées à Bourges les Récréations de l’Oulipo. Organisées par l’association des "mille univers", ces rencontres proposent des ateliers d’écriture et des lectures. Dans ce cadre, auteurs et public se retrouvent réunis autour de contraintes d’écriture . Ce fut également pour l’Agitateur, l’opportunité de questionner Frédéric Terrier, responsable de "mille univers" sur les activités de l’association et sur la vie culturelle locale.

la génèse de mille univers

"Il n'y a pas besoin d'appel divin ou mystérieux pour écrire !"

- L’Agitateur : Frédéric Terrier, vous vous occupez de l’association mille univers. Pouvez-vous évoquer le parcours qui vous a conduit jusque là ?

- Frédéric Terrier : Je suis arrivé à Bourges en 1992 parce que j’étais étudiant à l’école des Beaux Arts. J’avais commencé les Beaux Arts en Haute Savoie, à Annecy. Mais cette école ne faisait que deux ans du cursus et j’ai donc passé le concours pour intégrer l’école de Bourges qui était et qui reste l’une des grandes écoles.

- L’Agitateur : C’est un concours difficile ?

- Frédéric Terrier : J’avais obtenu un diplôme validant les deux premières années et ensuite il y avait un dossier et un entretien et ils ont bien voulu de moi. (rires) Ce qui fait que je suis à Bourges encore
aujourd’hui, comme beaucoup d’anciens étudiants des Beaux Arts d’ailleurs…

- L’Agitateur : Vous voulez dire que ces étudiants s’installent sur la ville et dans les environs ?

- Frédéric Terrier : Oui, ils sont restés là… ce qui doit donner une certaine richesse de propositions culturelles dans la région je pense. Voilà, Bourges pour moi, c’était donc un hasard. C’est vraiment l’école d’Arts qui m’a amené ici, mais c’est quand même la ville où j’ai choisi de rester.

- L’Agitateur : Qu’est-ce qui vous a conduit à vous orienter vers des études artistiques ?

- Frédéric Terrier : C’est peut-être parce que mon grand-père voulait que je travaille dans la banque… (rires) Non, je ne sais pas. C’était une attraction assez évidente depuis longtemps : pour le cinéma, pour la photographie, pour l’écriture… Donc ça s’est fait assez naturellement. L’école d’Arts semblait être un des passages obligés de ma vie.

- L’Agitateur : Pouvez-vous présenter votre association et nous en dresser un rapide historique ?

- Frédéric Terrier : Oui, les mille univers sont nés en 1994. Cela s’appelait alors l’association de violette et de beurre.

- L’Agitateur : Joli nom…

- Frédéric Terrier : Oui… Cela ne faisait pas très sérieux alors on a changé de nom en 2000 ou 2001 pour avoir peut-être plus de lisibilité car les mille univers c’est beaucoup plus clair ! (rires) En fait, c’était le nom d’une revue qu’on avait créée en 1994 et on a choisi de reprendre ce nom pour dénommer l’association.

- L’Agitateur : Quand vous dites « on », de qui parlez-vous ? Y avait-il déjà un groupe constitué ? Etait-ce d’autres étudiants des Beaux Arts ?

- Frédéric Terrier : Oui, exactement. C’était des étudiants comme moi, des copains de l’époque. Nous étions un petit groupe avec des projets divers dont cette revue et aussi des ateliers de vidéographie dans les premiers temps.

- L’Agitateur : Aviez-vous un rythme de parution régulière concernant cette revue ?

- Frédéric Terrier : Non malheureusement, c’était un projet un peu lourd. Seul le numéro initial est sorti. Nous avions également fait paraître des petits journaux avec des élèves dans le cadre d’un travail pédagogique. Petit à petit on est arrivé à ce que l’association est aujourd’hui, c’est-à-dire une petite maison d’édition avec un atelier de typographie. Deux domaines qui sont assez différents mais extrêmement proches et toujours des ateliers pédagogiques. Nos activités aujourd’hui sont, de manière assez cohérente, issues des premières activités avec quand même des évolutions très sensibles. On a créé à Bourges un atelier de typographie traditionnelle de toutes pièces.

- L’Agitateur : La création de cet atelier a nécessité, je crois, un gros travail de récupération de matériel.

- Frédéric Terrier : Oui, énorme ! Ce travail n’est pas encore terminé mais est quand même très avancé. On est allé en Italie, en Belgique, un petit peu partout…

- L’Agitateur : Savez-vous si de telles initiatives ont déjà été menées ailleurs ?

- Frédéric Terrier : Oui, il existe quelques lieux comme celui-ci en France mais plutôt à l’initiative de vieux typographes. Nous, nous n’avons pas appris la typographie par un CAP qui n’existe plus depuis longtemps, ni par un diplôme quelconque, mais au contact des anciens.

- L’Agitateur : Comme les apprentis d’autrefois en quelque sorte ?

- Frédéric Terrier : Voilà, c’est une forme de transmission des savoirs et puis on a beaucoup appris par nous même aussi en passant par la pratique !

- L’Agitateur : Donc après un gros travail de récupération de matériel, l’apprentissage auprès d’anciens typographes…

- Frédéric Terrier : Oui, il faut dire que ces anciens ont eu plaisir à retrouver dans des conditions privilégiées -puisque ce n’était pas des conditions de production- leurs pratiques et leurs techniques. On a rencontré pas mal d’anciens du Berry Républicain, qui sont passés à l’atelier. D’ailleurs on en parle depuis quelques mois, on va essayer de créer un club des anciens typos. Cela nous permettrait d’échanger avec des préretraités ou d’autres, retraités depuis longtemps (donc avec des gens qui ont entre 55 et 80 ans) afin de profiter de leurs connaissances, de leur savoir-faire pour apprendre encore et puis transmettre à des enfants aussi ! Il s’agirait d’un lien intergénérationnel, ce sont des choses qui ne se font pas assez souvent.

Deux axes de travail : édition et partage

- L’Agitateur : Toutes ces idées et toute cette mise en place étaient elles prévues lorsque vous avez débuté l’association ? Aviez- vous déjà de tels objectifs ou était-ce quelque chose de flou ?

- Frédéric Terrier : Alors, l’atelier de typographie, l’atelier d’impression, étaient là pour servir l’édition. Notre objectif c’était l’édition, mais pour cela il faut beaucoup de moyens matériels. Nous n’avions pas de capital, donc, faute de capital, on a travaillé ! C’est la force des plus petits.

- L’Agitateur : Au niveau de vos activités, vous venez d’évoquer l’atelier typographique, vous menez également des projets en partenariat avec des classes d’élèves… mais vous organisez aussi un événement.

- Frédéric Terrier : Effectivement, il y a l’édition mais il existe aussi une collaboration avec des auteurs en dehors. L’édition est un travail de création mais plutôt de liens interpersonnels avec les auteurs. On reçoit donc aussi des auteurs pour les Récréations. Ce sont des rencontres avec des écrivains de l’Oupilo et aussi des résidences d’auteurs.

- L’Agitateur : Parlons des Récréations…

- Frédéric Terrier : C’est le grand moment, le temps fort de l’année, ouvert à tout public. Les Récréations permettent des rencontres entre auteurs et public dans des conditions privilégiées. Il s’agit d’une semaine complète, qu’on passe avec les auteurs pour écrire avec eux. On vient pour apprendre à écrire, pour perfectionner son écriture, selon son niveau, et cela dans un esprit de partage. Pas de compétition ! Les auteurs sont là depuis tôt le matin…enfin, dès qu’ils sont levés (rires) jusqu’à très tard le soir. Les participants déjeunent et dinent avec ces auteurs ce qui permet de vrais échanges.

L’Oulipo

- L’Agitateur : Pouvez-vous nous parler des circonstances ayant permis la mise en place de ces Récréations ?

- Frédéric Terrier : C’est d’abord une rencontre avec l’Oulipo. [1] Il s’agit du seul groupe littéraire qui fonctionne vraiment. Ce sont des gens qui se retrouvent très régulièrement, une à deux fois par mois, pour travailler ensemble. Ils s‘imposent des contraintes littéraires et ont tous des approches très différentes de l’écriture avec des styles extrêmement variés. C’est ce qui nous plaît ! Ils sont donc très différents de par leurs sensibilités, leurs personnalités, leurs origines mais avec des points communs très forts qui les lient humainement. Ce sont des gens qui ont un minimum de savoir vivre, indispensable pour pouvoir vivre en groupe. Et puis c’est surtout la contrainte littéraire qui les regroupe. Ce groupe a été créé par Raymond Queneau et puis parmi les grandes figures il y eut Georges Pérec et Jacques Roubaud. Cette rencontre avec l’Oulipo ce fut peut-être d’abord « les papous dans la tête » sur France Culture, une émission assez ancienne, mais qui existe toujours, basée sur les jeux d’écriture, les jeux littéraires, donc plutôt un côté humoristique mais l’Oulipo ce n’est pas que cela, il existe un vrai travail d’écriture...

- L’Agitateur : Comment avez-vous pris contact avec les membres de l’Oulipo ?

- Frédéric Terrier : J’ai fait un stage d’écriture en 2000 ou 2001. Un peu la même chose que les Récréations. C’était à Castries, près de Montpellier, dans un château qui appartient je crois à l’Académie Française. [2]

- L’Agitateur : l’Académie Française possède des biens ?

- Frédéric Terrier : Eh oui, il faut bien payer les épées ! (rires) Mais après ce stage, le centre régional des lettres de Languedoc-Roussillon n’a pas poursuivi ces ateliers et il y a eu une année sans rencontre littéraire. Cela avait commencé dans les années 1977 ou 1978 à Villeneuve lez Avignon. C’était une vraie tradition de rencontres estivales, avec des gens venant d’horizons géographiques très différents… On a donc proposé à l’Oulipo de venir à Bourges car on avait déjà travaillé avec Jacques Jouet autour d’un poème-portrait des basketteuses de Bourges : un beau poème autour de cette équipe première féminine. Cela fait donc six ans que l’Oulipo a accepté notre invitation. Parallèlement, nous avons des liens avec certains de ces auteurs que nous éditons et l’on travaille aussi beaucoup avec eux dans le cadre d’ateliers pédagogiques auprès des enfants. Nous les aimons donc particulièrement.

- L’Agitateur : Vous évoquiez précédemment la mise en place de contraintes littéraires…

- Frédéric Terrier : La contrainte littéraire c’est justement le fait de faire descendre l’écriture de son piédestal. Elle ne provient pas d’une source sacrée avec des muses ou je ne sais quoi… Un poète n’a pas une écharpe, les cheveux au vent et l’air torturé. C’est avant tout quelqu’un qui écrit de la poésie. C’est un vrai travail et il faut, comme pour tout travail, avoir des outils ... avec sans doute des capacités particulières naturellement, mais c’est surtout beaucoup de travail ! Picasso le disait pour la peinture : le talent ne représente qu’une toute petite partie d’une oeuvre, le reste c’est du travail et des techniques. Le peintre a besoin de pinceaux pour mélanger les pigments avec des liants, de même, l’auteur a besoin de construire son texte d’une manière ou d’une autre.

- L’Agitateur : Si j’ai bien compris, les membres de l’Oulipo essaient de créer de nouvelles contraintes littéraires assez régulièrement ?

- Frédéric Terrier : Ils créent de nouvelles contraintes qui sont des outils d’écriture. Le mystère de la page blanche et ce genre d’âneries ne tient pas ! On se donne des outils pour écrire. Quand on n’a pas grand-chose à écrire et qu’il faut écrire on peut toujours y parvenir. Ce n’est pas forcément un succès à tous les coups mais en tout cas on peut écrire et on n’arrête pas la machine. Ils partent donc avec les contraintes qu’ils ont glanées à travers le monde et à travers l’Histoire. Depuis que l’Homme écrit, que l’Homme chante aussi… les troubadours des XIème et XIIème siècles avaient des contraintes littéraires et des formes d’écritures extrêmement élaborées très liées à la mathématique. Le mathématicien Raymond Queneau n’a donc rien inventé mais il a valorisé cette forme de travail littéraire et il a mis les pieds dans le plat en désacralisant justement une écriture tombée du ciel. Voilà, on est en république et il n’y a pas besoin d’appel divin ou mystérieux pour écrire ! (rires) À travers le monde il existe une quantité de contraintes d’écriture extraordinaires qui donnent des rythmes et la possibilité d’aller toujours plus loin dans son écriture. De plus, effectivement, les auteurs de l’Oulipo créent de nouvelles contraintes : des situations parfois drôles et puis surtout des outils pragmatiques pour écrire. Jacques Jouet a créé notamment une contrainte qui se nomme « le poème de métro » qui permet d’écrire pendant le temps d’un voyage dans un transport en commun. On l’a adapté à Bourges avec les bus. C’est cela se mettre en condition d’écriture et la vie change ! Et ça fonctionne ! Cela peut-être drôle, cela peut-être un exercice d’écriture et cela peut-être un vrai outil de travail.

- L’Agitateur : Oui cela permet sans doute à tout un chacun de pouvoir s’impliquer dans un travail d’écriture avec des situations concrètes…

- Frédéric Terrier : … et d’aborder l’écriture différemment !

- L’Agitateur : Et que pouvez-vous nous dire concernant le festival de polars qui s’est déroulé à Villequiers ? C’est un projet plus récent ?
Se déroulera t-il toujours au même endroit ?

- Frédéric Terrier : Non, il devrait bouger et se restructurer . Ce sont aussi des rencontres littéraires avec le public. Nous en sommes à la deuxième édition. C’est un projet qui a un peu plus d’un an qui est à l’initiative de la librairie « Sur les chemins du livre » à St-Amand, spécialisée en polars. Nadège Mulet, qui était libraire à Paris auparavant, est fan de polars. Elle reste libraire itinérante avec son petit camion bleu qui traverse la région… C’est avec elle que l’on a rencontré des auteurs de polars. Cette année l’invité était Jean-Bernard Pouy. C’est un genre qu’on découvre. Ce n’était pas du tout notre univers mais c’est une belle découverte car c’est une littérature exigeante. Cette littérature passe pour populaire, moins précieuse, elle n’emplit pas souvent les pages littéraires du Monde, en tout cas pour le polar français… On n’attend pas ces auteurs au coin d’un prix ou d’une réception de salon parisienne, ils possèdent donc plus de liberté et de créativité.

- L’Agitateur : Le polar est un genre qui à tendance à se diversifier…

- Frédéric Terrier : C’est très large effectivement, cela passe de la description sociale, au suspens, jusqu’au thriller ou à l’horreur (un genre que je déteste). Jean Bernard Pouy, sans doute le plus connu des auteurs de polars français, est aussi très proche de l’Oulipo. Il travaille beaucoup avec la contrainte littéraire et l’on retrouve des univers qui nous sont très familiers.

- L’Agitateur : Avez-vous d’autres choses à ajouter sur l’étendue de vos activités ?

- Frédéric Terrier : Globalement, ce qui résume nos activités c’est qu’elles ont toutes un lien avec l’édition, d’une manière ou d’une autre. Que l’on travaille avec une classe d’enfants, d’adolescents, ou encore avec des adultes, c’est avec l’édition à l’esprit. Peut importe que ce soit une édition à 50 exemplaires, nous le faisons pour poser le fruit de ce qui a été réalisé et pour permettre aux participants de constater qu’ils ont produit un vrai travail. La mise en forme, la mise en page, le choix d’une typographie, tout le travail d’édition permet de soupeser ce qu’on a réussi à faire parce qu’écrire un poème c’est une chose, mais se rendre compte qu’on a écrit un poème en est une autre ! On passe le degré supérieur en se reconnaissant comme compétent dans ce domaine, chacun à son échelle naturellement, car ce n’est pas parce qu’on écrit des poèmes qu’on est poète… mais on devient capable de participer au monde de la poésie. On veut développer ça ! Et l’édition permet justement à tous de découvrir qu’on est capable d’écrire et ça c’est important. Les maîtres-mots sont vraiment « édition » et « partage ». Tout cela avec pour objectif que les créations des artistes et des auteurs que l’on reçoit, soient partagées puisque c’est destiné au public.

(à suivre...)

À lire

Seconde partie de l’interview : La poésie doit toucher tout le monde !

[1Pour en savoir plus sur ce mouvement littéraire cliquez ici.

[2Voir en ligne ici