« Agir pour rendre le monde (un peu) meilleur » : c’est aujourd’hui, samedi 13 novembre !

Journée de la gentillesse

samedi 13 novembre 2010 à 08:40, par clarinette

Après les manifs solidaires...
Avec les altermondialistes, les syndicalistes, les humanitaires, les caritatifs... on nous propose ce samedi à nous aussi d’« Agir pour rendre le monde (un peu) meilleur » : c’est la « Journée de la gentillesse » !!!

Qui décide de ce qu’on me met sous le nez lorsque je vais ouvrir ma messagerie ?

C’est en ouvrant ma messagerie que j’ai découvert cet événement : sur free, à côté des malheurs de Rihanna, de la citation de Florent Pagny, de la pub pour partir au ski... je découvre l’annonce de la Journée de la gentillesse, samedi 13 novembre ! Si je clique sur le « en savoir plus... », je tombe sur une page entière de conseils pour « me faire plaisir et me faire du bien », en ayant le « nouveau courage » d’ « oser être gentille » !

C’est donc cette année la deuxième « Journée de la gentillesse », lancée par le magazine Psychologies. Il y a tout plein d’arguments pour me convaincre d’être gentille samedi, y compris celui qui devrait emporter mon adhésion définitivement : être gentille, c’est bon pour ma santé ! Il est « scientifiquement prouvé » qu’être gentille sera bon pour mon rythme cardiaque et ma pression artérielle, mon système immunitaire, etc. Ça tombe bien ça, que ce qui est bon pour les autres soit aussi bon pour moi ! Ça me rappelle un peu la vieille histoire à propos de General Motors... Tout est bien, donc, si c’est bon pour moi et en plus pour les autres.

Plus belle la vie !

En plus de ces promesses de santé et de bien-être, Psychologies nous propose un défi nouveau : rassembler « Un million d’actions pour la gentillesse » [1]. C’est un genre de téléthon finalement : on doit participer, mettre un peu du sien, et faire exploser le compteur, pour enfin changer notre monde, le rendre meilleur (enfin, on me propose juste de le rendre « (un peu) meilleur » !). On peut regarder les actions déjà proposées, et chercher des idées pour samedi... il y en a déjà plein :
- « Je prépare un dîner frites, ketchup, crêpes, Nutella à mes enfants » , « Je ramasse des papiers jetés à terre », « J’aide un touriste égaré devant un plan », « Je propose à quelqu’un qui n’a qu’un article de passer devant moi à la caisse », ...et une de mes préférées : « J’écris un poème ou une lettre manuscrite à mon amoureux(se) et le la lui poste » (sic). Bon, ben, voilà une bonne idée, j"’écrirerai" une lettre manuscrite à mon amoureux, sur du vrai papier, avec enveloppe et tout, et puis je trouverai un timbre pour "le la lui poster" !

- Il y a encore d’autres idées, je ne résiste pas à en citer quelques unes : je masse mon amoureux aux huiles essentielles, je garde le bébé d’un proche pour qu’il puisse sortir en amoureux, j’offre de l’aide à un collègue surchargé, je souris à quelqu’un qui a le cafard, je prépare le petit déjeuner avant que tout le monde se lève, etc. Super... la gentillesse, c’est "plus belle la vie" !

Allez... un peu d’humour, quoi !

Mouais...
Il y avait déjà la journée de la femme [2] (donc 364 jours pour l’homme ?), la journée de la Terre [3] (donc 364 jours où on se fiche bien de l’avenir de notre terre ?). Sans parler de la journée des amoureux, la rentable et agaçante « Saint Valentin ».

De même donc, si l’on fait une journée de la gentillesse, c’est sans doute que les 364 autres jours de l’année, on est moyen moyen : on ne ramasse pas un papier par terre, on ne dit pas merci à nos collaborateurs le soir, on ne masse pas son amoureux, on ne garde pas le bébé des voisins pour qu’ils sortent en amoureux, on laisse l’autre à son cafard, on n’invite pas les voisins à boire l’apéro... Quel tableau ! Mais la journée n’est peut-être pas si absurde que ça : au moins la liste des actions « spécial 13 novembre » nous renvoie en creux un portrait (certes peu flatteur) de ce que nous sommes au quotidien !

Une belle et bonne intention ?

Voyons donc de quoi il s’agit... Le magazine Psychologies n’explique pas en détail sa démarche sur son site. Il se borne à expliquer que prôner la gentillesse, dans notre monde de brutes (comme disait l’autre) « c’est un pari. Sur nous-même, sur autrui, sur l’avenir. Dans un monde brutal où la tendresse n’est pas toujours de mise, s’ouvrir à l’autre et accepter le risque qu’il profite de nous, c’est faire preuve de bravoure » [4].
Les promoteurs de cette journée se sont heureusement expliqués plus en détail dans une émission sur France Culture : « Les racines du ciel », le 9/11 dernier. On peut heureusement la réécouter ici ou ici, jusqu’au 8 décembre.

Ah, ma bonne dame...

Les deux invités de Frédéric Lenoir : Arnaud De Saint Simon (Journaliste et directeur de « Psychologies Magazine ») et Emmanuel Jaffelin (philosophe, qui vient de publier "Éloge de la gentillesse" aux éditions François Bourin) expliquent le pourquoi de cette journée, en commençant par le constat peu original de l’indifférence, du chacun pour soi dans notre société actuelle...et du besoin de solidarité et de gentillesse.

Un peu d’histoire

S’ensuit un historique du mot, et de la chose, dans un souci de « réhabiliter » et la notion, et le mot. En effet, alors qu’à Rome « gentilis » désigne le patricien, qui possède la noblesse de par sa naissance (et que donc la gentillesse telle que nous la connaissons n’existe pas), le mot subira dans son histoire deux dévalorisations. La première est liée à son utilisation comme traduction par les Chrétiens du mot hébreu « goï » pour désigner les païens ; la deuxième plus tardive, est moins clairement expliquée, et aboutit à une dévalorisation complète du gentil qui devient le simplet, le naïf, celui dont on sourit... [5]

Le « vrai » sens du mot gentillesse apparaît en fait au moment de la Renaissance, lorsque le goût pour l’Antiquité conduit à valoriser comme telle une vertu qui n’existait pas à l’époque ! En effet, la gentillesse qui sert de modèle au « gentilhomme » de la Renaissance ne s’exerce pas dans le cadre familial et ne se reçoit pas en héritage. Elle est le résultat d’actes personnels, d’une pratique choisie, et est la preuve d’une noblesse qui ne tient plus à la naissance, mais à un engagement personnel au service d’autrui, et non plus du seul environnement familial.

Une vertu modeste

La gentillesse nous est donc proposée, en toute modestie, comme une conduite adaptée à notre temps, et à notre besoin de « bien-vivre », de douceur, d’empathie... Il ne s’agit pas de théories ni d’actes héroïques, mais de gestes quotidiens, ou même seulement « de temps en temps », sans obligation aucune, mais juste pour conjurer la solitude et l’indifférence de notre monde... C’est un effort « à hauteur d’homme », auquel nous avons tout à gagner, d’ailleurs : être gentil nous fait du bien, et fait du bien aux autres, et nous rend moins dépressifs, etc. [6]

Une vertu pour notre temps... (et c’est bien triste, non ?)

La modestie affichée de la gentillesse en fait une vertu actuelle, pour notre temps... Arnaud de Saint Simon explique qu’en lançant cette journée de la gentillesse, il a « choisi de l’élire [la gentillesse] pour valoriser des actes positifs ». Du concret donc, et du positif, mais pas pour autant une vertu au rabais. En effet, à l’opposé du sens dépréciatif du mot, la vraie gentillesse est loin d’être une faiblesse. Elle est donc une forme de soumission, oui, mais de soumission volontaire, par laquelle on s’ouvre à autrui. Dans l’exercice de cette vertu, « le problème d’autrui devient plus important que le mien » (dit E. Jaffelin). Et donc je donne un peu de moi, ou un peu de mon temps pour l’autre !

Très bien, très beau... Il reste qu’en parcourant les exemples de gentillesses promises pour la journée du 13 (cf ici, on constate que les « problèmes d’autrui », c’est soit de ne pas arriver à lire un plan, soit de faire la queue pour un seul article, soit de manquer d’une baby-sitter, soit de s’énerver en voiture, soit de ne pas avoir le temps de sortir son chien... enfin des problèmes qui pourraient paraître … comment dire ? presque pas graves, pas très graves en tous cas.

Pour les autres problèmes (si on les repère), voir à la case solidarité / engagement / don / amour / charité / partage, ...que sais-je ? Mais ce sont là des vertus qui semblent à nos auteurs trop ardues, trop impossibles pour nous d’aujourd’hui : « on n’est plus à la hauteur de ces grandes morales monothéistes qui exigeaient qu’on voue notre vie, et qu’on se se sacrifie à des codes... » dit Arnaud de Saint-Simon dans l’émission... Et pour montrer que le chemin est difficile (trop difficile pour aujourd’hui), il affirme qu’il y a relativement peu de saints [7], et qu’il est préférable et plus « anoblissant » pour nous de rechercher des petits gestes, des services ponctuels, éphémères, de temps en temps.

Et nos philosophes terminent en évoquant finalement un anoblissement quasi kénotique [8] : la gentillesse est « une élévation qui passe par un amoindrissement » disent-ils... : en étant gentil(le), j’affaiblis mon moi, et je découvre autrui. Il y a donc bien une élévation morale de la gentillesse : j’existe comme ouverture à l’autre, nous dit-on.

Mouais... on a quand même du mal à suivre... : existe-t-il une ouverture à l’autre, vraie et sincère, sans engagement, sans confiance, sans durée, sans rencontre, sans don, sans risque ?... De quoi parle-t-on ?

Mais stop, et pas d’inquiétude : il n’y a pas besoin de penser ! La gentillesse est affaire de pratique, de petits gestes, pour un bien-vivre commun... Il n’y a qu’à être gentil, se faire du bien, et tout viendra avec. Rien de tout cela n’est bien grave en fait.

Petits gestes, petits risques, petite bravoure...

« Dans un monde brutal où la tendresse n’est pas toujours de mise, s’ouvrir à l’autre et accepter le risque qu’il profite de nous, c’est faire preuve de bravoure. » [9]

Petits gestes, nous n’y reviendrons pas...

Mais aussi petits risques, et quels risques ? Le risque de la gentillesse, selon Psychologies, c’est que l’autre profite de nous ! C’est d’être « trop gentil », de se faire avoir ! Le vieux devant le plan, il savait très bien où il en était ; les voisins ils avaient juste envie d’une soirée à l’œil, sans avoir à payer de baby-sitter ; mon amoureux il faisait juste semblant de dormir pour avoir son petit déj’ au lit ; et la dame derrière moi dans la queue, elle avait en fait un panier avec plusieurs articles, et non un seul !!!

Petits risques, et donc petite bravoure que de supporter toutes ces atteintes à notre dignité...

On ne décollera pas vraiment, samedi.

[5Tous les cinéphiles avertis ont déjà à l’esprit la réplique culte de Pierre (à propos de Mme Musquin) : "Écoutez Thérèse, je n’aime pas dire du mal des gens, mais effectivement elle est gentille". Je ne cite pas le titre du film, ce serait leur faire injure...

[7ce qui est faux : il y a pour chaque jour de l’année bien plus qu’un seul saint inscrit sur le calendrier : on estime leur nombre entre 1000 et 40000, mais on les dit le plus souvent "innombrables"

[8la kénose est, en langage théologique, un terme signifiant le dépouillement du Christ de tous ses attributs divins, afin d’épouser complètement la condition d’homme, et de sauver l’humanité par là... cf ici


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