À propos de "Welcome", et de quelques questions...

vendredi 24 avril 2009 à 20:06, par clarinette

Avez-vous vu « Welcome » ? Sorti le 11 mars, c’est le film qui se passe à Calais, qui dénonce le scandale des poursuites à l’encontre de ceux qui apportent assistance aux migrants, et qui peut-être permettra à la législation française d’évoluer dans un sens plus conforme à la devise républicaine, qui après tout affiche « fraternité » ! C’est aussi le film dont on nous a répété partout qu’il « faut » le voir, le film « indispensable », « à voir absolument »...
J’y suis donc allée, et oui, c’est bien. Mais à présent que le soufflé est retombé et que l’on ne parle plus du film, je m’interroge sur ce « à voir absolument »... et sur ce qu’on voit effectivement dans ce film.

Le film : une belle histoire

A Calais, Simon Calmat travaille à la piscine comme maître nageur ; son amie vient de le quitter, pour un autre, et parce qu’elle lui reproche de ne pas s’engager, comme elle, pour aider les migrants « en panne » à Calais. Par dépit, et comme un défi un peu fou pour prouver à son amie qu’il peut prendre des risques, il va s’attacher à Bilal, un jeune immigrant qui vient de rater son passage clandestin vers l’Angleterre, et qui rêve d’y aller ...à la nage. Tout en lui démontrant que c’est là un défi impossible et dangereux, il va lui donner des cours de natation, l’entraîner, et même lui offrir le bijou qu’il pourra apporter en cadeau à sa bien-aimée qui l’attend en Angleterre.

Les personnages sont attachants, on se prend à espérer que Bilal puisse retrouver sa bien-aimée, on rêve que Vincent Lindon reconquière la sienne... On découvre un monde qui ne nous est pas familier, celui des immigrants, échoués à Calais comme devant l’ultime obstacle qui leur permettrait d’entrer en terre promise. On découvre l’attente, l’espoir, la réalité des passeurs, les morts inutiles... Pas de happy end, le film reste résolument réaliste ; Bilal meurt noyé tout près des côtes anglaises, son amoureuse se mariera conformément à ce qu’a décidé son père, Vincent Lindon rentrera à Calais, et n’échappera pas aux poursuites lancées contre lui pour avoir aidé au séjour de personnes en situation irrégulière.

Un beau film, qui met en lumière d’une part une réalité mal connue : celle des migrants bloqués à Calais, d’autre part un combat discret et courageux, celui des « aidants », qui leur apportent nourriture, vêtements, soutien moral, enfin la menace qui pèse sur cette solidarité en acte. En effet, nous avons été beaucoup à en prendre conscience grâce au film : l’article L622-1 du CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) prévoit que « Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 Euros » [1], assimilant en cela l’aide fraternelle apportée par des bénévoles et le trafic juteux des passeurs.

L’équipe du film : des ambitions fortes, de louables intentions...

Le réalisateur, Philippe Lioret, et l’acteur principal, Vincent Lindon, ne cachent pas leur enthousiasme et leur satisfaction d’avoir eu l’idée de faire un film sur un sujet pareil, un sujet « important », « balèze » : « Avec Emmanuel Courcol (coscénariste), on a eu la sensation d’avoir trouvé une pépite. Cette histoire des mecs à Calais qui veulent passer en Angleterre... C’est riche d’une dramaturgie forte.(...) Tout ça, c’est tellement énorme... » dit Philippe Lioret [2]. Il poursuit : « Moi, je veux être bouleversé par une histoire qui m’arrache les tripes en tant que citoyen. »
Vincent Lindon, parle, lui, d’« un vrai film » : « une fiction », mais « plus efficace qu’un documentaire, car ça s’adresse au coeur des gens. » D’un côté bouleverser, parler aux tripes, ou au coeur, de l’autre une ambition revendiquée comme « citoyenne » : « sensibiliser les gens ». Vincent Lindon : « Comme beaucoup de Français, j’estime qu’il faut qu’on respecte les êtres humains. Les gens à Calais sont parfois traités plus mal que des chiens. Et ça, ça ne me va pas. Je ne comprends pas qu’il existe un article du Code de l’entrée, du séjour ou du droit d’asile des étrangers qui dit : Toute personne qui vient en aide à une personne en situation irrégulière est passible de cinq ans de prison. » [3]

« Si ce film pouvait contribuer à changer cette loi, ce serait positif » dit Vincent Lindon.

Le combat des « délinquants solidaires »

Louables intentions, qui ne peuvent que confirmer que Welcome est effectivement un film « à voir absolument », et qu’il faut soutenir le mouvement des « délinquants solidaires » qui refusent d’associer les mots délit et solidarité. Parce que, disent-ils, « avant d’être “sans-papiers”, ces hommes, ces femmes et ces enfants sont des personnes en difficulté, isolées et démunies, et [qu’]il est de notre devoir de citoyen de les aider dans la dignité et le respect dû à chaque être humain » [4]. Le collectif "Délinquants solidaires", créé par une vingtaine d’associations partenaires (dont la Cimade, Emmaüs, Médecins du Monde, le MRAP, le Secours Catholique, etc) et rassemblant 63 organisations (associations, syndicats, etc) exige aujourd’hui « que le délit de solidarité soit supprimé de notre législation ». Signalons que selon notre Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, Eric Besson : « le délit d’aide aux sans-papiers n’existe pas en France » ! [5]

Mais quelques questions...

Et pourtant, devant ce tableau somme toute idyllique, on ne peut s’empêcher de s’interroger...

- C’est quoi, un citoyen ?...
Que signifie en effet « être bouleversé par une histoire qui [nous] arrache les tripes en tant que citoyen » selon l’expression de Philippe Lioret ? Quel rapport entre le bouleversement émotionnel, et la prise de conscience – et surtout l’engagement citoyen ? Émouvoir, est-ce pareil que mobiliser ? Pleurer, est-ce réfléchir ? Est-ce agir ? Lorsqu’on entend tous les appels à « voir absolument » le film, tout se passe comme si l’acte de voir le film constituait en lui-même une action citoyenne, une mobilisation, un engagement dans un combat citoyen...

Pourtant, alors même que la réalisation du film est quasiment revendiquée comme démarche citoyenne (cf la question du journaliste, à laquelle Philippe Lioret répond implicitement oui : - Pensez-vous avoir eu une démarche citoyenne ?... « Écoutez, j’ai 50 ans. Pour les films, il faut des sujets importants. Je vois trop de films qui sont faits pour faire plaisir aux chaînes de télé. Il faut aller chercher des sujets balèzes, et les traiter de façon humaine. Moi, je veux être bouleversé par une histoire qui m’arrache les tripes en tant que citoyen » ), aucune piste de réflexion « citoyenne » n’est proposée ni évoquée pour sortir de la situation - impasse décrite dans le film... Ni dans le film – nous y reviendrons-, ni par l’équipe : lorsque le journaliste interroge Vincent Lindon : « Quelle est votre opinion sur le problème des clandestins ? », celui-ci répond : « Je n’ai pas la prétention de réguler le flux migratoire en France ! » [6] ; et plus loin : « Vous vous êtes sérieusement opposé au ministre Eric Besson sur cet article de loi… » réponse de V. Lindon : « Je sais que le ministre a une tâche difficile. Je suis conscient qu’il n’est pas possible de laisser toutes les portes ouvertes »... Au spectateur de s’émouvoir, au politique de trouver des solutions ?! Au spectateur le coeur, au politique la raison ?!... Et on parle de désintérêt des gens pour la chose politique... nous y sommes en plein, ce film en est le témoin.

Alors... ne pas dire que le film « arrache les tripes en tant que citoyen » : il arrache (peut-être) les tripes en tant qu’être humain, mais il n’a pas de rôle « citoyen » ; le voir n’apporte pas une information (puisqu’il s’agit d’une fiction), ni ne constitue un engagement citoyen. Finalement la bonne question est sans doute : c’est quoi, être citoyen ? Ému dans une salle obscure ou acteur dans la cité ?

- C’est comment, la situation ?
A présent, regardons ce que montre précisément le film, et comment est décrite la situation politique « réelle ». Trois exemples :

 à la piscine : trop d’étrangers.
Lorsque Bilal commence à venir apprendre à nager à la piscine, certains de ses compagnons remarquent qu’il sent le propre : il s’est douché ! Le lendemain, ils sont une dizaine rassemblés devant la porte de la piscine, souhaitant entrer pour se doucher. On les refoule, et seul Bilal entre, pour sa leçon de natation. Le film ne précise pas qu’ils n’avaient pas de quoi payer leur entrée ; il n’est pas indiqué qu’il soit interdit de se payer une entrée à la piscine juste pour profiter de la douche... rien n’est dit de tout cela, mais ce qui est montré, c’est que ces gens là n’ont pas à envahir la piscine des Calaisiens. Un seul, c’est tolérable, mais une dizaine, c’est trop. Autrement dit : la piscine n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde. On peut y voir une image qui rappelle le début de la célèbre phrase de Michel Rocard (souvent citée tronquée, cf le texte) et qui conviendrait aussi au ministre Besson, sans doute.

 pour Mina et sa famille en Angleterre : pas d’intégration possible.
Eux ont réussi à passer, à s’installer en famille dans un petit appartement. Le frère et le père travaillent dans la restauration, les affaires marchent bien, mais la réalité n’est pas celle de l’intégration : à la maison, la mère n’a pas droit à la parole, Mina n’a pas le droit de parler au téléphone avec son amoureux, et le père arrange avec un de ses amis et collègue le mariage forcé de sa fille Mina. Là encore, tableau d’une situation bloquée : l’intégration n’est pas réelle.

 pour les migrants, échoués à Calais, dans une impasse administrative, ni régularisables, ni expulsables : aucune solution.
Là encore : constat de blocage. Ils ne peuvent retourner en arrière (cf l’homme que Bilal retrouve, alors qu’il le croyait arrivé en Angleterre, et qui lui avoue avoir envoyé de fausses nouvelles au village...), ils ne peuvent aller nulle part, ils attendent un passage irrégulier, hasardeux, dangereux... et mettent en danger ceux qui les aident. Ce qui est suggéré ici, c’est qu’il vaudrait mieux pour tout le monde qu’ils ne soient pas arrivés jusque là. Ce qui est sous-jacent, c’est qu’il faudrait bien entendu arrêter ces migrants avant qu’ils ne soient acculés à cette impasse. On ne peut s’empêcher de penser à l’ « Europe forteresse », et au « pacte européen pour l’immigration » que les ministres européens ont tenté de mettre en place, à Vichy en octobre 2008 afin de sécuriser davantage les frontières extérieures de l’UE. [7]

Que faut-il « voir absolument » ?...

Ambiguïtés, donc... Que faut-il « voir absolument » dans ce film : la misère des migrants à Calais, ou le constat selon lequel ils n’ont aucun espoir ici, rien à faire ici ? Le scandale des ennuis faits aux aidants, ou le scandale de notre résignation face à la misère qui pousse à la migration ceux qui n’ont rien à perdre ? L’émotion bouleversante dont nous sommes capables devant une fiction, ou notre indifférence devant ceux que nous croisons dans la rue, mais dont nous préférerions qu’ils ne soient pas là, qu’ils soient restés chez eux, quitte à y mourir, mais là-bas ?

Et si le débat sur le délit de solidarité a pris tant de place dans les échanges autour de ce film, n’a-t-il pas aussi caché l’autre question, plus épineuse, plus fondamentale, celle qui était comprise dans la deuxième partie de la célèbre phrase de Michel Rocard, celle de « la part que doit savoir prendre la France » dans le soulagement de la misère du monde ? Celle d’un devoir d’assistance qui s’élargit à l’accueil inconditionnel de ceux qui n’ont rien, celle d’une prise en compte objective de la réalité des migrations actuelles et futures (cf les réfugiés climatiques, les exodes dûs aux guerres et autres conflits...) ?...

Réécoutons Michel Rocard : « Que nous ne puissions, à nous seuls, prendre en charge toute la misère mondiale ne nous dispense nullement de la soulager en partie. Au contraire. Dans la fidélité à elle-même, à ses principes, à son histoire, la France doit prendre loyalement, fièrement et généreusement sa juste part de cette misère. N’est-ce pas de Gaulle, qui proclamait : “C’est beau, c’est grand, c’est généreux, la France !” Ouvrons les yeux ! La France est la quatrième puissance économique de la planète, et quelles que soient ses difficultés actuelles, elles sont sans commune mesure avec celles de l’immense majorité du reste de l’humanité ». [8]

Ce qu’il y a à voir, finalement dans ce film, c’est tout autant les autres que nous. Eux, les autres : aidants ou migrants, et nous : spectateurs émus, citoyens plus ou moins mobilisés, alternant peurs et bonne conscience, courageux ou autruches, idéalistes ou timorés... en cela, oui, Welcome est absolument à voir.

En contre point à la démarche de Philippe Lioret, il faut lire « absolument » Fabrizio Gatti : Bilal sur la route des clandestins, éditions Liana Lévi... Là ce n’est pas « riche d’une dramaturgie forte », ce n’est pas « en 48 heures on a tout vu » (Philippe Lioret, http://www.lavoixdunord.fr/Region/actualite/Secteur_Region/2009/03/02/article_une-dramaturgie-forte.shtml)... Là, c’est un journaliste, et aussi un véritable aventurier d’aujourd’hui, qui ne joue pas dans une fiction : il fait le voyage, la route avec les clandestins, partage leur quotidien. Bien sûr, il n’est pas un « vrai » migrant, il a un emploi, une femme qui l’attend en Italie, etc. Mais il subit la chaleur, la soif, la fatigue et la peur, les violences avec des compagnons de migration, entre le Niger et la Lybie, puis dans le Centre de rétention de Lampedusa...

Du coup son texte devient témoignage, et non « histoire » ; certains personnages deviennent ses amis, et nous lecteur, sommes touchés et heureux d’avoir le privilège de partager cette expérience de vie... On n’est pas dans une salle obscure, on est sur la route. On ne regarde pas, on partage.

[1version en vigueur au 21 mars 2009, à lire sur droit-finances.commentcamarche.net/legifrance

[4voir le site de Délinquants-solidaires

[5voir à ce sujet le blog de Marie Barbier (journaliste à L’Humanité) : Les dix mensonges d’Eric Besson, et ici le dialogue entre Daniel Goldberg (député PS) et Eric Besson, où celui-ci répète que "Le délit de solidarité relève du mythe".

[7Cinq objectifs : organiser l’immigration légale, lutter contre l’immigration irrégulière, renforcer l’efficacité aux frontières extérieures, bâtir une Europe de l’asile, favoriser le co-développement... on sait que la France est particulièrement intéressée par l’objectif de renforcement des frontières européennes extérieures : c’est autant de migrants en moins qui parviennent sur son territoire... et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on parle de « cordon sanitaire » ou de « rideau de fer ». Nous en avions parlé dans l’agitateur, ici.

[8à lire ici, ça date de 1996 ; la France est au sixième rang aujourd’hui, mais l’argument tient toujours, me semble-t-il...

commentaires
A propos de "Welcome", et de quelques questions... - Mercure Galant - 24 avril 2009 à 21:17

Très bel article, qui donne envie d’aller voir le film et qui fait un large tour de la question... Sur ce sujet on peut recommander également la lecture de l’ouvrage "A l’abri de rien" d’Olivier Adam paru en 2007 - éd. de l’Olivier - 219p. (disponible à la médiathèque de Bourges)
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#22966
A propos de "Welcome", et de quelques questions... - Mercure Galant - 5 mai 2009 à  23:02

À la suite de la lecture de l’article, je suis finalement allé voir ce très beau film. Merci donc à Clarinette !

Petite précision concernant le bouquin susmentionné, il est en quelque sorte à l’origine du film de Philippe Lioret :

« l’idée a germé d’une conversation entre le réalisateur et l’écrivain Olivier Adam sur la situation des émigrants à Calais, qu’ils qualifient tous deux de "frontière mexicaine" à la française. Co-scénariste de "Welcome", Olivier Adam avait publié il y a deux ans le bouleversant "A l’abri de rien", dont l’héroïne, Marie, secourait, jusqu’à se perdre elle-même, les sans-papiers de Calais, »

Pour plus de détails, lire cet article

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