Fichage ADN : un moyen de répression ?

lundi 23 février 2009 à 08:34, par Charles-Henry Sadien

Arrêtés par la police au mois de décembre 2008, Hamid et Karim ont subi une garde à vue de 24 heures. Aucune charge ne pesant sur eux, ils ont été relâchés. Mais ils doivent comparaitre le 13 mars prochain devant le tribunal Correctionnel de Bourges pour avoir refusé de se soumettre à un prélèvement biologique destiné au Fichier National Automatisé des empruntes Génétiques. Un comité de soutien s’est constitué. Explications.

Fichage ADN : un moyen de répression ?

Il est 12h30. Comme chaque jour, vous descendez au bar à côté de chez vous pour prendre votre café. Comme d’habitude, vous en profitez pour fumer une petite cigarette. Mais ce jour là, vous n’en avez pas sur vous. Heureusement, vous apercevez des visages familiers, au dehors, dans une fourgonnette. Vous allez les saluer et essayez de leur taxer une petite clope. Une patrouille de police arrive et vous soumet à un contrôle d’identité. Aucune inquiétude, vous pensez que vous êtes “clean”. Mais à quelques mètres de là, un policier trouve dans une conduite d’aération un sac contenant 600 grammes de cannabis. La police arrête toutes les personnes dans l’entourage immédiat de cette découverte. Vous en faites partie et vous retrouvez soudainement dans une drôle d’histoire : garde à vue de près de 24 heures dans des conditions à peine dignes avec des policiers qui vous tutoient et vous parlent familièrement et une hygiène plus que médiocre. Vous subissez une fouille au corps, nu dans une salle au milieu d’autres “présumés innocents”. Puis on vous demande un prélèvement d’ADN. Vous vous dites que « ça commence à bien faire cette histoire », et vous refusez.

Finalement, la garde à vue est levée. Vous partez, libre. Rien ne vous est reproché, vous n’êtes pas un dealer. Sauf que le Procureur a été avisé de votre refus de vous soumettre à un prélèvement d’ADN et qu’il décide de lancer une procédure à votre encontre.

C’est ce qui est arrivé à Hamid et Karim - tous deux sans antécédent judiciaire - qui expliquent qu’ils se trouvaient au mauvais endroit, au mauvais moment.

"Vol" de l’ADN de Karim

Mais ce n’est pas tout. Alors que Karim n’est plus sous le coup de la garde à vue qui vient d’être levée, les policiers lui offrent très sympathiquement une cigarette qu’il avait réclamé inlassablement durant 24 longues heures. Bien volontiers, Karim grille sa clope, et le policier récupère le mégot pour prélever l’ADN du jeune homme, contre sa volonté expresse.

Ce que dit la loi

Les articles 706-54, 55 et 56 du Code de Procédure Pénale définissent le champ d’application du Fichier National Automatisé des Empruntes Génétiques. Aujourd’hui, toute personne condamnée par un tribunal ou une Cour d’assises est tenue de se soumettre à un prélèvement d’ADN. Par ailleurs, la loi dispose que les personnes ayant été placées en garde à vue peuvent se voir demander un prélèvement ADN, sur simple initiative d’un officier de police judiciaire, du Procureur ou du Juge d’Instruction, s’ il existe « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis l’une des infractions » qui leur sont reprochées. En cas de refus, le citoyen peut être renvoyé devant le Tribunal Correctionnel où il risque 1 an de prison et 15.000 euros d’amende.

Concernant l’obtention de l’ADN de Karim par la ruse policière, il semblerait que l’on soit dans une sorte de flou juridique. Ce prélèvement, après la garde à vue et contre la volonté de l’intéressé est-il légal ? La défense entend demander l’annulation de l’inscription au FNAEG. L’article 706-54 dispose que "ces empreintes sont effacées sur instruction du procureur de la République agissant soit d’office, soit à la demande de l’intéressé, lorsque leur conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier. Lorsqu’il est saisi par l’intéressé, le procureur de la République informe celui-ci de la suite qui a été réservée à sa demande ; s’il n’a pas ordonné l’effacement, cette personne peut saisir à cette fin le juge des libertés et de la détention, dont la décision peut être contestée devant le président de la chambre de l’instruction".

Par ailleurs, il n’existerait pas d’exemple de jurisprudence où une personne est poursuivie pour refus de se soumettre à un prélèvement d’ADN alors que la police et la justice sont en possession de cet ADN.

L’esprit de la loi

Dans l’esprit du législateur, le Fichier National Automatisé des Empruntes Génétiques, créé en 1998, était très restrictif puisqu’il visait exclusivement les grands délinquants sexuels et les personnes condamnées pour violence. La Boite de Pandore a été ouverte : dans un contexte de peur du terrorisme suite aux événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis, ce fichier a été étendu aux terroristes. Enfin, une nouvelle révision de la loi en 2003 a ouvert ce fichier à l’ensemble des crimes et délits à l’exception de la délinquance financière. A ce jour, plus d’un million de personnes sont fichées. Suivant la voie d’outre-manche, la France a établi un objectif de 4 millions de personnes fichées.

Le fichage ADN : "une violence policière"

Selon Jean-Paul Susini, avocat du Barreau d’Orléans, il apparaît que dans un contexte de fort attrait pour les politiques sécuritaires et d’objectifs quantitatifs imposés à la police, « le fichage est utilisé comme un moyen de répression qui s’apparente à une violence policière ». S’appuyant sur un arrêt de la cour d’appel de Bastia, il estime que l’on ne peut pas justifier d’un prélèvement d’ADN en invoquant l’existence d’indices graves et concordants lorsque l’individu n’a fait l’objet d’aucune poursuite.

Dans le cas de Karim et Hamid, Yann Galut, avocat inscrit au Barreau de Bourges estime que la notion très floue « d’indices graves et concordants » n’est pas constituée. « Dans les affaires concernant des produits stupéfiants, la première chose que fait généralement la police, c’est d’effectuer une perquisition au domicile. Dans le cas d’espèce, elle n’a même pas jugé cela utile et a libéré Karim et Hamid sans aucune poursuite ».

« Cela peut arriver à n’importe qui ! »

« Il faut bien comprendre que cela peut arriver à n’importe qui. En 2008, 1% de la population Française a été mise en garde à vue. », explique Yannick Bedin (PCF). Dénonçant l’absurdité de l’extension du champ d’application de la loi, Yann Galut illustre son propos d’un cas concret : « Je peux citer le cas d’une berruyère d’une cinquantaine d’années qui a été condamnée en 2007 à 100 euros d’amende avec sursis pour avoir commis un vol d’une valeur de 15 euros dans un supermarché. Elle a reçu il y a quelques semaines une convocation en vue de se soumettre à un prélèvement d’ADN ! »

Yannick Bedin exprime une certaine « stupeur d’apprendre que la loi permet de telles choses. Stupeur, également de voir comment on peut traiter les gens de certains quartiers. Certains individus sont des suspects en puissance. On passe de la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité ».

Rappelant le contexte général d’atteinte aux libertés individuelles et collectives avec la multiplication des caméras de surveillances et le développement sans limite du fichage (une trentaine de fichiers à ce jour), Yannick Bedin estime que la position d’Hamid et Karim est un acte citoyen très courageux. Il évoque aussi le fichage comme moyen de « criminalisation des mouvements sociaux » pour décourager et effrayer les citoyens actifs. Yann Galut est d’accord avec lui : « Imaginez : au cour d’une manifestation à Bourges, la vitrine d’un commerce est brisée. La police présente sur les lieux décide d’arrêter toutes les personnes qui se situaient à proximité et de les placer en garde à vue. A ce moment, la police est tout à fait fondée à leur faire subir un prélèvement d’ADN en se basant sur la notion d’indices graves et concordants ! C’est ainsi que l’on considère des militants comme des suspects et des délinquants ! »

Par la voix de Pierre Dedet, le Parti Socialiste a réaffirmé l’importance de la sécurité publique. Mais il a souligné qu’elle ne devait pas être un prétexte pour museler la vie citoyenne et porter atteinte aux libertés individuelles. « On ne doit pas utiliser cette nécessité de sécurité pour mettre en insécurité des citoyens qui ne demandent rien à personne », a-t-il expliqué.

Comité de soutien

La justice devra se prononcer le 13 mars prochain : le fait de se retrouver à proximité de la découverte d’un sachet contenant des substances illicites est-il constitutif d’un indice grave et concordant justifiant du prélèvement d’ADN en vue d’une inscription au Fichier National Automatisé des Empruntes Génétiques ?

En attendant, un comité de soutien s’est constitué. On y trouve le PCF, le PS, les Verts, ATTAC, l’APEIS, Solidaires 18, UD-CGT, RESF 18, la ligue des Droits de l’Homme... Le Syndicat de la Magistrature suivrait également de très près cette affaire et pourrait prendre officiellement position dès qu’elle aura pris connaissance de l’ensemble des éléments du dossier.

Une pétition de soutien a été mise en ligne : http://www.refus-adn-bourges.info/

Une réunion publique de soutien se tiendra le 10 mars dans un lieu qui reste encore à déterminer.

Le comité appelle également à un rassemblement devant le tribunal correctionnel, le jour de l’audience, le 13 mars à 13h30.