« Agitateurs » vs « Politiques sérieux »

À propos du Parti Socialiste et de ses contradictions
lundi 15 décembre 2008 à 08:59, par bombix

Julien Dray rappelle à l’ordre Martine Aubry et ses jeunes lieutenants, « agitateurs » qui sont de toutes les manifs. Il faut être sérieux quand on se prépare à gouverner. Et si le sérieux socialiste, c’était simplement un certain art de promettre. Ni trop peu, ni trop. Art subtil, dont les responsables socialistes se sont fait une spécialité, mais difficile en temps de crise.
Car la crise a au moins ceci de positif qu’elle rend difficiles les faux-semblants. Révélant crûment les contradictions d’une formation politique qui n’a décidément pas fini de se déchirer.

« Agitateurs » vs « Politiques sérieux »
Marceau Pivert en juin 36 avec des ouvrières en grève
Militant syndical et membre de la SFIO au sein de laquelle il avait créé la tendance "Gauche révolutionnaire" — qui demandait entre autres la réduction du temps de travail à 40 heures et le vote des femmes, Marceau Pivert finira par rompre avec Blum déclarant : "Je n’accepte pas de capituler devant le capitalisme et les banques."

« Le Parti Socialiste a vocation à donner une transcription réaliste d’une contestation radicale. »
Julien Dray, 11.12.2008

Il se passe toujours quelque chose au Parti Socialiste. Vraiment on ne s’ennuie pas, et l’observation — même lointaine — de la vie de ce parti et de ses péripéties ne manque jamais de laisser perplexe.

Voyez Julien Dray. Le député de l’Essonne, venu de la Gauche socialiste, rallié à Royal et donc bientôt prêt à s’allier avec le MoDem et la Nouvelle Gauche, n’a-t-il pas justifié son virage au social-libéralisme par la nécessité d’être moderne et de rénover l’appareil du PS ? Place aux jeunes ! Eh bien justement, Martine Aubry en a nommé, des jeunes, au Conseil National du PS. Mais Dray aussitôt de morigéner ... la jeunesse : « Il faut des hommes d’expérience ! » [1] s’écrie-t-il. Il faut des vieux routards roués, qui connaissent les ficelles de la négociation, qui savent reculer et parfois abandonner. Bref il faut des gens « sérieux ». On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans disait le poète. A l’évidence, pour Dray, on ne l’est pas non plus quand on a moins de cinquante ans !

Crise de génération ?

Mais au fait, le problème qui se pose au PS est-il vraiment un problème de génération, un problème d’expérience ? Voyez Martine Aubry : à la suite de quelle étrange métamorphose celle qui a été portée, soutenue, conseillée par les éléphants du PS — les Jospin, Rocard, Fabius et consorts, lesquels ont quand même gouverné un certain temps la France auprès de François Mitterrand ou sans lui —, ferait-elle une crise d’infantilisme ? Et voyez cette belle jeunesse aux dents longues et blanches qui accompagne la Madone de Poitou-Charente — les Peillon, Montebourg et autre Dray. Les voici qui se permettent de donner des leçons de maturité politique à Madame le Maire de Lille qui n’est certes pas née de la dernière pluie ! Ce petit monde ne tourne-t-il pas à l’envers ?

Décidément, le principal parti d’opposition en France n’en finit pas de déployer ses paradoxes.

Et si ces paradoxes ne faisaient que manifester la situation réelle d’un PS pétri de contradictions ? Tentons l’hypothèse.

Ce qui va arriver va faire très mal

La crise qui a débuté cet automne est d’une gravité exceptionnelle [2]. Il s’agit non pas d’une crise dans le capitalisme, mais d’une crise du capitalisme lui-même, au moins de l’une de ses formes.
Dans cette situation, grande est la tentation de mettre en procès le capitalisme comme système, ce que ne manquent pas de faire les mouvements sociaux qui se mettent en branle ici et là — aiguillonnés comme il se doit par des organisations radicales ou d’extrême gauche.

Le Parti Socialiste quant à lui, comme principal parti d’opposition, est censé combattre la politique de Sarkozy qui soutient sans complexe ce système.

Mais le PS n’ira pas jusqu’au procès du capitalisme

Pourtant, parce qu’il a renoncé à articuler une critique fondamentale du capitalisme, parce qu’il a fait de l’économie de marché l’alpha et l’oméga de sa pensée politique et économique, ce parti se trouve dans l’incapacité de formuler une réponse originale, fondamentalement différente des « solutions » proposées par l’UMP et le Président de la République.

Quand Dray dit qu’il ne s’agit pas d’être « en opposition systématique à Sarkozy », il faut en réalité comprendre qu’il est bien difficile au PS, sur les bases qui sont les siennes, d’être parfois en opposition à Sarkozy.

A gauche toute !

Nonobstant, le PS est aussi traditionnellement à gauche. Dès lors, comment pourrait-il être absent des luttes sociales dans un tel moment historique ? Toute son histoire le pousse à se solidariser avec ce mouvement. Aubry et la nouvelle direction du Parti retrouvent soudain un élan gauchisant. « François Hollande écumait les fêtes de la rose ; sa remplaçante va-t-elle courir les usines en grève ? Depuis l’arrivée de Martine Aubry au poste de premier secrétaire, la tendance au PS est au brasero. La visite « sur le terrain » aux entreprises menacées de fermeture ou confrontées à un plan social est devenue une consigne officielle [...] Mme Aubry a enjoint les responsables fédéraux de coller au terrain et annoncé la création d’une « cellule licenciements » rue de Solferino [3]. »
Il est vrai que pour l’instant, cette posture est plutôt facile à tenir. Se situant dans l’opposition, Aubry est dispensée pour l’instant de trouver vaille que vaille — c’est à dire en fin de compte sur le dos des salariés [4] — des solutions à la crise qui gagne. Les petits nouveaux enfilent donc leurs baskets et courent les manifs. Leur patronne les usines en grève. Peut-être espère-t-elle engranger quelque bénéfice d’un tel engagement auprès des forces de la « résistance ». Ne redonne-t-elle pas par ce biais quelque crédibilité à un PS qui peut ainsi rassurer sa « clientèle » traditionnelle sur ses ambitions sociales ? Il en a bien besoin, éloigné qu’il est sociologiquement des classes populaires. Il en a bien besoin, après avoir donné en spectacle des semaines durant un combat des chefs où la lutte des ego rivaux semblait laisser loin derrière la bataille des idées pour le progrès et la justice.

Mais gare au réveil

Attention cependant aux réveils douloureux et aux reniements cuisants et destructeurs dans l’opinion. Car les promesses que le PS pourrait faire, si elles versaient dans un certain « radicalisme » — c’est à dire, soyons clair, si elles allaient jusqu’à la remise en cause du système lui-même — seraient incompatibles avec les cadres généraux de sa pensée et de son action ; cette option — une critique du capitalisme — n’y est plus même débattue depuis longtemps.

Le rappel à la raison de Julien Dray — qui ne pouvait pas laisser passer une si belle occasion de tacler Aubry — est donc marqué au coin du bon sens politique, avec une pointe de cynisme toutefois. Son intervention signifie que les politiques « qui ont vocation à prendre part aux responsabilités » peuvent s’emporter dans leurs discours et leurs déclarations, mais jusqu’à un certain point seulement. C’est cela être sérieux pour un socialiste : savoir promettre [5]. Ni trop peu, ni trop.

La crise met les socialistes en danger de s’emballer

La crise met en danger les socialistes de s’emballer. Dans cette hypothèse, comment seraient-ils en mesure, selon la remarquable formule de Dray, de donner la transcription réaliste d’une contestation radicale ?

Au reste, ce tour de passe-passe convainc t-il encore grand monde ? Julien Dray croit-il lui-même à ce slogan commode ? Rien n’est moins sûr.

Un parti qui cultive les faux-semblants

Car la crise a ceci de bon qu’elle rend de plus en plus difficile les faux-semblants que le PS cultive depuis longtemps ... Depuis toujours ?

« Dans la plupart des pays d’Europe », écrit Denis Collin [6], « la gauche et la droite gouvernent ensemble ou mènent des politiques impossibles à distinguer. Le marché libre, la concurrence, la propriété privée, le soutien à la politique des USA, voilà les dogmes qui les unissent. Quand elle était au pouvoir, la gauche française, pendant les terribles années 80, a soutenu la « France qui gagne » (du fric) avec la frénésie des nouveaux convertis. Elle s’est ensuite convertie aux privatisations : le gouvernement Jospin a autant privatisé que la droite et n’a pas reculé devant la privatisation du service public (France Télécom). En 1991, Mitterrand a emboîté le pas des USA lors de la 1ère guerre du Golfe. Le gouvernement de gauche de Lionel Jospin a suivi les USA en Afghanistan. En 2003, coup de chance, Jospin avait été battu et Chirac a épargné à notre pays la honte de se faire pour la 3e fois en moins de 15 ans le supplétif des agresseurs US. Je n’insiste pas. Tout cela a été dit et redit. »

Mais il n’est pas inutile de le répéter encore.

Voilà donc un parti qui a réussi l’exploit de capter à son profit pendant des années des forces politiques tout en travaillant finalement contre elles. Du grand art.

Qu’arriverait-il cepentant si les socialistes manquaient cette fois leur numéro d’équilibristes ?

L’angoisse de Yann Galut

On sent poindre l’angoisse chez Yann Galut, fils spirituel de Dray et thuriféraire de Ségolène : « Comment nos concitoyens vont-ils exprimer leur colère ? » écrit-il dans son dernier billet. Est-ce bien la bonne question qu’il faut poser ? Nos concitoyens vont exprimer leur colère comme ils l’ont toujours fait : en manifestant, en faisant grève, en s’organisant pour faire plier le pouvoir. Non, la vraie question qui se pose à un responsable socialiste, cette fois-ci (comme les autres) c’est de savoir comment on pourra la traduire politiquement cette colère, ou pour être plus franc, comment on pourra la récupérer dans le jeu normal de la vie politique bourgeoise avec ses fausses oppositions et ses vraies connivences.

En attendant une nouvelle crise.

Mais il se pourrait que cette fois, les choses se passent moins bien où ne passent pas du tout. On comprend les angoisses de Monsieur Galut. Imaginez que s’ouvre une perspective qui rende possible le ... socialisme !

[2Le PS est en train de réaliser que la situation économique et sociale risque de devenir dramatique – « ce qui va arriver va faire très mal ; ce sera beaucoup plus grave que ce que nous pouvons imaginer » a lancé Henri Emmanuelli devant le conseil national. Parti socialiste, tendance brasero

[4Seule solution si l’on refuse de toucher et aux règles de l’économie de marché, et aux puissants intérêts qui soutiennent le capitalisme mondialisé

[5C’est à dire, au fond, savoir mentir ?

commentaires
« Agitateurs » vs « Politiques sérieux » - B. Javerliat - 15 décembre 2008 à 18:54

Voilà donc un parti qui a réussi l’exploit de capter à son profit pendant des années des forces politiques tout en travaillant finalement contre elles.

Voila LA phrase qui résume tout le PS. Merci de l’avoir trouvée ! Question subsidiaire : Le PS a-t-il réussi cet exploit en toute conscience ou à l’insu de son plein gré ?

Car enfin, l’europe des marchands établie par le Traité de Maastricht en 1992, c’est bien sous la gauche, non ? Et Maastricht, c’est bien le départ de la "concurrence libre et non faussée", du dumping fiscal entre les états membres, de délocalisations vers les états à faible coût de main d’oeuvre, etc...

La plus grande vague de privatisation des entreprises publiques, autrement nommée vente du bien public aux intérêts privés, c’est bien sous la gauche, non ? 210 milliards de FF entre 1997-2002 sous le gouvernement Jospin, soit autant que les gouvernements Chirac (100 milliards de francs), Balladur (114 milliards de FF), Juppé (40 milliards de FF) et Raffarin (13 milliards d’EUR)

Est-ce la proximité avec le pouvoir financiers qui a corrompu la pensée de gauche, ou bien au contraire, est-ce la proximité de pensée qui a fait que les politiques menées par la gauche ont si bien réussi au pouvoir financier ?


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