CULTURE EN QUESTIONS

Minimal wave sérieusement siphonnée !

interview de Catherine Marie et Franck Lopez (première partie)
lundi 24 novembre 2008 à 22:00, par Mercure Galant

Qui se souvient d’Opera Multi Steel ? Ceux qui auraient gardé en mémoire les titres étranges ou mélancoliques de ce groupe berruyer des années 80, pensent sans doute que sa disparition des scènes locales avait - comme pour tant d’autres – signé son arrêt définitif. Or il n’en fut rien… Si aujourd’hui le groupe est effectivement entré dans une phase léthargique depuis plusieurs années déjà, tous ses membres ont néanmoins poursuivi dans différentes formations l’aventure musicale débutée à Bourges. Et si vous tapez " Opera Multi Steel" sur un moteur de recherches, vous vous rendrez rapidement compte que les disques du groupe font toujours le bonheur des milieux spécialisés de musique gothique ou Cold wave dans de nombreux pays du monde. Les premiers albums, devenus collectors, s’arrachent à des prix surprenants et un producteur brésilien, vient même de rééditer sur un double CD, une anthologie regroupant tous les standards du groupe avec l’espoir que celui-ci renaisse de ses cendres autour de nouvelles compositions. Les musiciens se verraient par ailleurs sollicités pour une nouvelle tournée chez leurs fans de São Paulo … Nous avons rencontré deux de ces ténébreux "Gothiques", Catherine Marie et Frank Lopez , qu’il ne faudrait pas pousser beaucoup pour ouvrir une nouvelle page de l’existence d’OMS. Retour avec eux sur le parcours singulier d’un groupe pas comme les autres …

D’obscures étoiles

Minimal wave sérieusement siphonnée !

L’Agitateur : Quels sont vos liens avec Bourges ?

Catherine Marie : Ma famille est de Bourges, j’y suis née et j’y ai fait mes études. C’est vraiment ma ville de coeur et je n’irais ailleurs pour rien au monde.

Franck Lopez : Pour moi c’est exactement la même chose.

Catherine Marie : Et dans le trio de base, Patrick son frère, a eu le même parcours.

L’Agitateur : Quelle place représente la culture dans ce parcours ? Quelles furent vos influences ? Qu’est ce qui vous a incités à faire de la musique ?

Catherine Marie : Il n’y avait pas d’artistes dans ma famille. J’écoutais bien sûr des disques. Si je ne me considère pas comme une artiste, j’en ai rencontré grâce aux frères Lopez. Maintenant je me considère plutôt comme une « artisane » de la musique ! (rires)

Franck Lopez : C’est tout simplement à force d’écouter des tonnes de disques, de regarder des posters de musiciens que je me suis dit que j’aimerais bien jouer de la basse, être chanteur, faire partie d’un groupe… Cela a commencé assez vite, dès le lycée. On a monté notre premier groupe avec des amis. C’était essentiellement du folk.

L’Agitateur : S’agissait-il du groupe Avaric ?

Franck Lopez : Non c’était avant, on jouait au foyer du lycée Alain Fournier puis dans des bals folks. Ensuite il y a eu effectivement la création du groupe Avaric avec un garçon qui s’appelle Lionel Baillemont. Notre premier album est sorti en 1979. J’étais très jeune puisque je ne devais pas encore avoir le bac. Par la suite on a dû faire trois ou quatre vinyles avec Avaric… Catherine que je connaissais déjà, ne faisait pas encore de musique à l’époque.

Catherine Marie : Quand Avaric s’est arrêté il y a eu un vide pour Franck. Son frère Patrick était également un peu désoeuvré. C’est là que l’idée est née. Nous lui avons demandé d’écrire douze textes pour faire quelque chose.

Franck Lopez : C’était un pari.

L’Agitateur : Vous avez donc pensé à Patrick pour les textes…

Franck Lopez : Oui c’était mon frère… On se connaissait très bien. On avait des goûts musicaux communs. Moi j’étais peut-être un peu plus « pop et folk ». Lui était plus influencé par The Cure .

L’Agitateur : La popularité de ce groupe explosait effectivement au début des années 80, mais vous n’êtes cependant pas rentrés dans la vague New Wave de la même manière. L’apport des instruments folk et puis cette forte imprégnation de musique médiévale rendait votre musique particulière… À quoi cela est-il lié selon vous ?

Franck Lopez : Disons que c’est un mélange. Avaric c’était déjà du folk médiéval, mais en même temps j’écoutais de l’électro-pop. Patrick était très cold-wave … et tout ça a donné le groupe.

Catherine Marie : Les textes de Patrick étaient un peu délirants. Il y avait un côté « folie » qu’il n’y avait pas alors dans la New-Wave. Maintenant on nous cite en disant qu’on faisait de « La Minimal Wave sérieusement siphonnée ». Mais on a toujours peiné à nous classer.

Franck Lopez : Nous ne nous sommes jamais censurés pour correspondre à un style musical.

Catherine Marie : Nous nous sommes plutôt lâchés pour donner ce truc inclassable, bizarre.

L’Agitateur : Avez-vous le souvenir de vos premières prestations sur scène ?

Franck Lopez : La première fois, on a dû jouer à la MJC Malus [1] , puis au CRC (Centre Régional de la Chanson)...

Catherine Marie : Oui, mais aussi avec la chorale au Théâtre Jacques Cœur, la salle Calvin, les Prés-Fichaux…

L’Agitateur : Aviez-vous pris des contacts avec Emmetrop, association qui est née également pendant cette période ? [2]

Franck Lopez : Oui, on a dû faire un concert au Château d’eau, organisé par Emmetrop…

Catherine Marie : Par la suite, leurs choix musicaux ne nous correspondaient plus…

Franck Lopez : Ensuite, c’était effectivement plus radicalisé « rock français indépendant… » et puis nous on tournait plutôt en circuit fermé… (rires)

L’Agitateur : En fait vous avez dû jouer dans tous les endroits accessibles de l’époque… Sur combien de temps avez-vous donné tous ces concerts ?

Franck Lopez : Cela s’est étalé entre 1983 et 1989…

Catherine Marie : Le seul endroit où nous n’arrivions pas à jouer, c’était le Printemps de Bourges. Nous n’avions pas été retenus… On avait donc réalisé des affiches un peu ironiques, indiquant qu’en 2089 on jouerait enfin au Printemps de Bourges !

Franck Lopez : FR3 avait filmé l’affiche [3]et je crois même qu’elle était également passée dans le Berry Républicain.

Catherine Marie : L’année suivante nous avons été sélectionnés pour les Découvertes ! On avait recruté un batteur et deux danseurs pour l’occasion…

Franck Lopez : C’était drôle !

L’Agitateur : Quels étaient vos moyens d’être diffusés à cette période ?

Franck Lopez : Il y avait au moins une dizaine de radios libres sur la Région Centre. On allait régulièrement en interview dans les radios surtout à partir du moment où l’on a sorti notre premier maxi 45 tours autoproduit car on avait quelque chose à proposer.

Catherine Marie : C’est grâce à ces radios qu’on a pu faire la diffusion de notre disque et les annonces de concerts. Il y avait vraiment une possibilité de monter sur une scène et de s’exprimer qui -je pense - est peut-être moins évidente à l’heure actuelle.

Franck Lopez : Ce n’était pas toujours facile de convaincre car on avait un problème avec notre style musical. Ce n’était pas du rock, ni du jazz…

L’Agitateur : L’accroche du public ne devait pas être évidente puisque vous étiez souvent amenés à vous produire aux côtés de groupes qui étaient aux antipodes de votre musique !

Franck Lopez : On a même joué avec des groupes de hard rock !

L’Agitateur : Justement, quels ont été vos rapports avec les autres groupes de cette période ?

Catherine Marie : Il n’y a jamais eu aucun problème !

Franck Lopez : On était plutôt classifiés par les organisateurs ou par ceux qui parlaient de musique, mais entre groupes on s’entendait très bien.

L’Agitateur : Quels étaient ces groupes ?

Catherine Marie : Je me souviens de UP, de Fureur parallèle, d’Option ou de Vendredi 13… Tous ces groupes n’avaient rien à voir avec nous musicalement parlant, mais on se suivait dans les concerts et je pense que ça ne gênait pas spécialement le public. On n’organisait pas alors des soirées spécifiques comme on le fait actuellement : « soirée gothique », « soirée hard-rock »etc… On s’entendait bien, il n’y avait aucun souci ! On avait même fait à la MJC Malus tout un travail sur scène avec des hard-rockers. C’était extraordinaire !

L’Agitateur : Concernant votre façon d’aborder la scène, il faut bien dire que c’était assez particulier… Il y avait d’un côté, une présentation quasi-liturgique, assez cérémoniale et de l’autre l’aspect un peu excentrique du chanteur (Patrick) et la tournure surréaliste de ses textes.

Franck Lopez : C’est ce qui forgeait un peu l’image du groupe. C’était un peu particulier en effet… Par exemple le fait de brûler de l’encens sur scène posait question.

Catherine Marie : Soit les gens aimaient cela, soit ils détestaient. Tous étaient un peu intrigués. On n’était pas le classique trio batterie- basse- guitare. On avait des boîtes à rythmes !

Franck Lopez : Cela nous a un peu desservi au départ… Utiliser des boîtes à rythmes ce n’était pas encore passé dans le « langage courant ». On était un peu considéré comme des fumistes !

Catherine Marie : Oui mais on revendiquait de ne pas être des musiciens très expérimentés. On faisait la musique qu’on pouvait faire et qu’on savait faire. Personnellement, si par la suite j’ai progressé dans l’utilisation des claviers, je faisais au départ des choses très minimalistes. Mais Orchestral Manœuvres in the Dark , par exemple, n’était pas un groupe composé de musiciens extraordinaires !

L’Agitateur : Avez-vous tout de suite trouvé votre public ?

Franck Lopez : S’il y avait quand même des gens qui suivaient nos concerts, il faut reconnaître que ce n’était pas un engouement énorme tant qu’il ne s’agissait que d’un niveau strictement régional.

Catherine Marie : On a connu le phénomène des fans beaucoup plus tard…

L’Agitateur : Vous en étiez encore aux tâtonnements au niveau musical, et le groupe était également dans sa phase artisanale si l’on en juge par la confection de vos premières pochettes de disques.

Catherine Marie : Oui, vous parlez de notre premier maxi qui est devenu un collector ! (rires) On avait créé une association appelée Orcadia Machina pour produire et diffuser nos disques.

L’Agitateur : vous aviez donc autoproduit ce disque ?

Catherine Marie : Oui, on avait même collé et découpé nous mêmes la pochette qu’on avait reçue de l’imprimerie.

Franck Lopez : À Bourges, il n’y avait pas d’imprimeur façonneur et comme nos moyens nous obligeaient à fonctionner à l’économie, nous avions réalisé la maquette nous-mêmes.

L’Agitateur : À combien d’exemplaires a-t-il été tiré ?

Franck Lopez : un premier tirage à cinq-cents exemplaires puis un deuxième du même nombre…

L’Agitateur : Cette pochette présentait une esthétique qui n’était pas courante à cette époque là, avec des gravures anciennes…

Franck Lopez : Certaines sont tirées d’un ouvrage de Jean Vredeman de Vries sur les perspectives, datant du XVIème siècle. Et il y avait aussi un montage détourné et un peu irrévérencieux de planches anatomiques tirées de l’Encyclopédie.

L’Agitateur : Vous aviez également exposé certains de vos collages à l’Office du tourisme si mes souvenirs sont exacts…

Catherine Marie : Oui, pour une exposition intitulée Exporcadia, regroupant les travaux de tous les gens qui faisait partie de l’association.

L’Agitateur : Sans contact avec l’Ecole Nationale des Beaux-Arts ?

Franck Lopez : Pas du tout ! On était plutôt dans un état d’esprit nous incitant à faire des choses sans passer par une école ou de la musique expérimentale sans passer par le GMEB. Une année pour la fête de la musique nous avions même joué au kiosque du jardin de l’Archevêché sous le nom de GMIB (le Groupe des Musiciens Inexpérimentés de Bourges) ! On avait fait un peu n’importe quoi, des impros…(rires)

L’Agitateur : C’était une forme d’autodérision en quelque sorte ?

Franck Lopez : Il y en a toujours eu beaucoup ! C’est pour cela d’ailleurs qu’on a souvent eu du mal à nous classer.

L’Agitateur : Comment arriviez- vous à financer vos disques ?

Catherine Marie : Grâce à l’association que nous avions créée, nous avions une petite subvention de la ville. Lorsqu’on recevait des cachets pour les concerts, on mettait tout de côté. On faisait également des conventions de disques pour avoir un peu d’argent afin de financer d’autres albums. Mais on ne s’est jamais partagé d’argent.

Franck Lopez : Nous avions également une activité professionnelle à côté. Sans cela, nous n’aurions jamais pu nous permettre cette aventure, c’est évident.

L’Agitateur : D’autres albums sont venus par la suite…

Franck Lopez : Oui, avec « Cathédrale » et « À contre sens » (album à partir duquel Eric, le bassiste, nous a rejoints) cela restait très régional mais ensuite nous avons eu des distributeurs : Dancetaria, New Rose… qui ont permis de diffuser plus largement et d’avoir des contacts hors Région Centre.

L’Agitateur : Vous apportiez toujours un soin particulier à la présentation de vos albums. Avec « les Douleurs de l’ennui », on note en couverture une photo signée par Pierre et Gilles

Franck Lopez : On les avait découverts au cours des années 80 dans une exposition à Paris et on avait flashé sur leur travail. Cette photo avec l’armure correspondait au concept que l’on avait déjà décliné dans nos précédents albums et que l’on retrouve aussi avec les heaumes à l’intérieur de l’album, extraits de bouquins de Viollet-le-Duc dont nous sommes assez fans. Nous avons donc demandé à Pierre et Gilles l’autorisation d’utiliser cette photo. Ils ont été très sympas puisqu’ils ont accepté, après nous avoir simplement demandé de leur envoyer au préalable notre disque pour l’écouter. Par contre, comme on n’avait pas les droits exclusifs, cette image a été réutilisée pour la publicité d’une grande marque de produits audiovisuels.

L’Agitateur : Où en étiez-vous au niveau de la diffusion pour cet album ? Travailliez-vous alors à une autre échelle ?

Franck Lopez : On faisait toujours des premiers tirages à mille exemplaires puis on voyait en fonction des besoins…

Catherine Marie : On était encore autoproduits mais nous étions dorénavant distribués et nous ne faisions plus nos pochettes à la main (rires) !

L’Agitateur : Comme pour beaucoup de vos pochettes, on retrouve des images empruntées à l’iconographie religieuse. Est-ce que cet aspect ne vous a pas nui en vous faisant passer pour un groupe hermétique ou difficile d’accès ?

Franck Lopez : C’est fort possible. C’est vrai qu’on peut voir des moines, des filles pouvant ressembler à Jeanne d’Arc, des anges… C’est vrai aussi que lorsque nous étions enfants nous allions souvent nous promener avec Patrick vers la cathédrale. Nous n’habitions pas très loin à l’époque… Nos parents nous ont envoyés très tôt au catéchisme sans qu’on le choisisse vraiment et tout ce qu’on en a gardé c’est cette iconographie. Patrick est peut-être plus mystique que nous… Moi je suis très attaché à l’imagerie religieuse, sulpicienne de la fin XIXème début XXème siècle. J’adore ça ! Pourquoi censurer des choses qu’on aime ? Je sais que certaines personnes pourront s’arrêter à cela…

Catherine Marie : Dès l’album « Cathédrale » qui évoquait la cathédrale de Bourges, on a effectivement développé cette imagerie mais quand on écoute les textes, on se rend compte qu’il y a une distanciation.

Franck Lopez : On nous a souvent fait remarquer qu’il y avait une inadéquation entre l’aspect graphique de nos pochettes éthérées, travaillées, angéliques, et la musique qui part un peu dans toutes les directions…

L’Agitateur : Quand cette première période du groupe cesse-t-elle ?

Franck Lopez : Au début des années 90, lorsque nous avons produit l’album « Stella Obcura » . On s’est alors arrêté pour diverses raisons. D’une part parce que Patrick traversait une période très difficile de sa vie personnelle et d’autre part parce qu’on était un peu fatigués de l’autoproduction.

Catherine Marie : On n’arrivait pas à trouver un producteur. À chaque fois que nous sortions un disque, nos distributeurs disparaissaient car le milieu indépendant commençait déjà à péricliter.

à suivre...

[1la MJC Malus n’existe plus aujourd’hui. Elle se situait sur la place du même nom, cachée derrière un porche entre la rue Nicolas Leblanc et l’Avenue Ernest Renan.

[2Lire à ce sujet l’interview d’Emmetrop en ligne ici

[3Pour les plus jeunes, FR3 est l’ancien nom de la chaîne France 3. Le 7 septembre 1992, FR3 devient France 3 et forme, avec France 2 (ex-Antenne 2), le groupe France Télévision. source article Wikipédia